Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Vers les étoiles, de Mary Robinette Kowal, chez Denoël - Lunes d'encre (Fr : 2020 ; An : 2019)

 

Grand format : 24 €, 560 pages (9782207159163)
Langue originale : anglais (États-Unis)
Traduction : Patrick Imbert

Quatrième de couverture

Une femme. Une mission. Sauver le monde.

1952. Une météorite s’écrase au large de Washington, dévastant une grande partie de la côte Est des États-Unis et tuant la plupart des habitants dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Par chance, Elma York et son mari, Nathaniel, en congé dans les Poconos, échappent au cataclysme et parviennent à rejoindre une base militaire.
Elma, génie mathématique et pilote pendant la Seconde Guerre mondiale, et Nathaniel, ingénieur spatial, tentent de convaincre les militaires que la météorite n’a pu être dirigée par les Russes. Mais, ce faisant, ils découvrent que la catastrophe va dérégler le climat de manière irréversible et entraîner, à terme, l’extinction de l’humanité.
Seule issue : l’espace. Une coalition internationale lance un programme spatial de grande envergure… inaccessible aux femmes. Elma compte pourtant bien y prendre part et devenir la première Lady Astronaute.

Récit d’une conquête spatiale digne de L’Étoffe des héros, Vers les étoiles a reçu les prix les plus prestigieux de la science-fiction : Prix Hugo, Prix Locus, Prix Nebula, Prix Sidewise.

Ma chronique 💛

Notons, à titre préliminaire, qu'il est possible de lire Vers mars, suite directe de Vers les étoiles, en premier. Dans mon cas, le premier a éveillé ma curiosité pour le second. Nous parlerons ici non seulement du premier opus, mais aussi du recueil de nouvelles La Lady Astronaute, paru en amont des romans.

Elma York : agaçante héroïne que l'on aime voir réussir

Disons-le sans ambages : la saga de la Lady Astronaute orbite toute entière autour d'Elma York, narratrice et protagoniste principale. C'est à travers ses yeux de jeune mariée que la ligne temporelle commence à dévier de l'histoire que nous connaissons pour dessiner, à partir de mars 1953, l'uchronie imaginée par Mary Robinette Kowal. Dans le climat particulier d'après guerre, un météore tombé au large de la côte ouest des États-Unis a ravagé la ville de Washington ; les effets de ce cataclysme à court, moyen et long termes incitent la communauté internationale à tourner une grande partie de leurs ressources et de leurs efforts vers la conquête spatiale. Un peu plus tôt que prévu, donc. 

Si l'on s'en tenait là, Vers les étoiles ne casserait pas trois briques avec un scénario somme toute classique. Mais vous l'aurez peut-être compris — si les récompenses reçues n'étaient pas suffisamment évocatrices... — c'est ailleurs que l'autrice se démarque. C'est dans l'exécution, dans la forme qu'elle donne à son propos. 

Il est probable qu'aux yeux de certains, dont moi, Elma York ait un abord plutôt pénible. Dégoulinante de bons sentiments, pétrie de bonnes intentions, voulant toujours bien faire, flirtant avec cet équilibre gênant qui pourrait faire craindre une Mary Sue en puissance. Mais Mary Robinette Kowal ne tombe finalement jamais dans cet écueil puisque, force est de l'admettre, Elma est loin d'être parfaite et il s'avère très facile de s'identifier à elle : déterminée au point d'être parfois butée, en lutte avec son anxiété et ses angoisses, commettant des boulettes qui conduiront ses pairs à la remettre plus d'une fois à sa place. 

Mais l'intérêt est ailleurs. Et s'il on accepte de lever quelques fois les yeux au ciel face au comportement et aux réflexions d'Elma, on pourra s'émouvoir et s'émerveiller de beaucoup de choses. Certes un tantinet idéalisée, sa relation avec Nathaniel est extrêmement touchante — en particulier lorsque l'on complète la lecture par les nouvelles, nous y reviendrons plus loin.

Le travail colossal qui a valu à cette série les récompenses qu'elle a reçues réside dans la restitution d'un contexte social, économique, politique et écologique resté fidèle à celui des années 1950, tout en s'adaptant aux nouvelles données apportées par l'uchronie. Mary Robinette Kowal s'est appliquée, avec une rigueur impressionnante, à respecter l'essentiel de l'état des connaissances, de matériel et de mentalités de l'époque. Cette conquête spatiale précoce se trouve donc teintée de luttes et d'inégalités sociales, de craintes géopolitiques, de débats et de remises en question concernant la gestion des ressources, d'interventions des médias, un tout dont le socle est inspiré de la réalité et extrêmement bien documenté. 

Il est d'ailleurs troublant de découvrir, de l'aveu même de l'autrice à la fin du roman, qu'elle ne connaissait rien de tout ce qui forge la crédibilité bétonnée de son roman avant de mener ses recherches pour le travail d'écriture. Dans cette courte postface, elle évoque les sources utilisées, les personnes sollicitées. Une seule remarque m'est venue, en me retournant sur ma lecture à la lumière de cette postface : Ah oui. Quand même.

Oui, cela aussi elle le confesse, le taux d'échec n'est pas aussi élevé dans sa fiction qu'il le serait dans la réalité. Mais qu'importe. En fin de compte, on a entre les mains un roman qui porte son lecteur, se lit avec aisance sans ne rien laisser de la solidité de ses appuis. On y est plongé comme si on y était, et ça fonctionne parfaitement. Que demande le peuple ? Elma York vous fera peut-être grincer des dents de temps en temps, mais je gage que vous aussi, au fond, vous voudrez la voir atteindre ses objectifs.

En complément de lecture : le recueil de nouvelles La Lady Astronaute

(Paru en octobre 2020 chez Folio SF, traduit par Patrick Imbert, 9782072863349) 

Cette lecture est incluse dans le challenge Winter short stories of SFFF.
 
 
J'évoquerai ensemble les 5 nouvelles de ce recueil, en fin de compte très courtes. Il s'agit là d'un excellent complément de lecture aux romans et par lequel il n'est d'ailleurs pas forcément pertinent de commencer la saga, bien qu'elles aient été écrites avant. 

La première, Nous interrompons cette émission, est pourtant à situer juste avant Vers les étoiles. Elle dévoile, dans l'intimité d'un bureau parmi des milliers d'autres, ce qu'un duo de programmeurs faisait quelque temps à peine avant la chute du météore au large de Washington. Difficile d'en dire plus sans dévoiler un élément majeur — et cependant sans réelle portée sur les évènements se déroulant par la suite, si ce n'est le regard que vous porterez dessus... — de l'uchronie. On se contentera ici de souligner une évocation intéressante de la tuberculose, plus répandue à l'époque qu'aujourd'hui ; un élément que l'on retrouve également dans les romans. 

L'expérience Phobos et Le Rouge des fusées se déroulent très clairement après Vers Mars et relatent les affres d'une vie après l'installation des premières colonies martiennes, dont Elma York fut une des pionnières. Il est intéressant de les mettre en parallèle. La première comporte une grande part de spéculation et reste très lacunaire sur ce qui a pu se passer pour qu'on en arrive à détecter une activité suspecte sur Phobos, lune martienne sur laquelle il paraissait jusqu'alors trop difficile d'atterrir. Mary Robinette Kowal sème de nombreux indices évocateurs tout en laissant planer un lourd mystère sur les évènements. Dans la deuxième, on découvre l'anxiété d'un artificier venu faire sa toute première démonstration de tir sur Mars ; la chute, attendrissante, prête à sourire par sa douceur. Cette deuxième nouvelle n'a d'autre prétention que le plaisir de vivre un moment fugace, d'une banalité improbable si loin de la Terre.

La Girafe d'Amara ne fait que deux pages, et a peut-être simplement pour seule prétention de montrer à quel point les voyages spatiaux sont entrés dans le quotidien des uns et des autres, comme si l'on conduisait une voiture. En si peu de mots, c'est du moins le sentiment qui s'en détache, avec la description de la façon dont une mère de famille gère à la fois un atterrissage sur la lune et les pleurs de sa fille. On peut tout de même noter que, toujours, Mary Robinette Kowal donne une assise scientifique ou matérielle à ses récits, si courts soient-ils.

La dernière, La Lady Astronaute de Mars, est la plus longue et sans doute la plus touchante. Chronologiquement, elle est à situer dans les derniers récits portant sur la vie d'Elma York. Nathaniel et elle, désormais âgés, finissent leur existence dans la morosité tranquille du quotidien sur Mars. Cette nouvelle est troublante à plusieurs égards : d'abord parce qu'elle met en parallèle deux deuils en cours, qu'elle place Elma devant un dilemme déchirant ; mais aussi et surtout parce qu'elle dépeint une vieillesse sans fard, décrit un dénuement que nos sociétés cachent habituellement sous un voile de pudeur délétère. Quiconque a déjà été confronté à ce dénuement ne pourra rester indifférent à ce qu'elle en écrit. Je soutiens pour ma part qu'il faut avoir d'abord lu les romans pour prendre la mesure de l'émotion que cette nouvelle peut procurer en venant clôturer leur histoire. J'en suis sortie les yeux humides. 



Commentaires

  1. J'ai ce livre en ligne de mire depuis l'annonce de sa traduction mais je n'ai pas encore eu le temps de le découvrir. Heureusement, sa sortie en livre audio fin janvier va changer cela! J'ai hâte!

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