Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Digression dans l'imaginaire — En quête de la Triforce

Les plus récents développements de la série The Legend of Zelda, en particulier à l'ère de la Switch, ont semé le trouble sur un point...

Mais où est donc passée la Triforce ? 

Ne reste-t-il de la Triforce que les vestiges d'un passé révolu ? Ici les ruines du temple du temps, sur le plateau du prélude.

Si convoitée par certains dans les épisodes précédents, rigoureusement protégée par d'autres, devenue une (sinon la) pierre angulaire de nombreux développements narratifs de cet univers au fil des épisodes, Nintendo a mis un tel point d'honneur à n'en faire aucune mention (explicite) dans ses derniers jeux que c'en deviendrait presque suspect...

Les explications et les théories (la plupart éclatées au sol) émanant de la fanbase pleuvent à défaut de réponses claires de la part des développeurs. L'arc Switch des opus canoniques étant à présent achevé et tout le matériel à même d'éclairer l'intention du studio quant à la direction prise par la série ces dernières années étant disponible (en particulier le très attendu Master Works), revenons ensemble sur ce (faux) point d'interrogation qu'est récemment devenu la Triforce.

Cohérence interne et approche méta 

Parce que oui, avant de partir en conjectures interstellaires, il faut bien tenir compte de la façon dont Nintendo conçoit l'univers de sa série et travaille à y développer ses épisodes.

Pour un rappel de ce qu'il en est dans les jeux Zelda (et uniquement dans les jeux), on se réfèrera à cette vidéo qui, bien qu'elle propose une conclusion personnelle sur la question de savoir ce qu'est devenue la Triforce à l'ère de la Switch, retrace l'évolution de cet élément à travers toute l'histoire de la série depuis le commencement. C'est un très bon point de départ quand, comme moi, on a la mémoire un peu rouillée et qu'on connaît fort mal la genèse pré-ALTTP (que voulez-vous, ce n'est pas ma génération).

Ce que disent les jeux, ce sont les éléments intangibles donnés au joueur. Une fois qu'un jeu est sorti, c'est là, c'est dehors, c'est indiscutable : on ne peut plus reculer sur le messages délivré par le contenu, quelle qu'en soit l'interprétation. On cause donc cohérence interne pure, celle avec laquelle les développeurs doivent constamment recomposer à chaque nouvel épisode.

À ce stade, mettons d'ores et déjà le doigt sur un point : la très grande majorité des théories émises par la fanbase s'appuient exclusivement sur la cohérence interne de l'univers. Or là réside leur principale faiblesse : les équipes de Nintendo se sont certes plu à développer le lore de cet univers en tenant chaque fois compte de ce qui avait été fait dans les jeux précédents, mais elles s'en sont aussi sciemment écarté chaque fois que la firme a jugé préférable de laisser aux développeurs la liberté de créer un récit inédit dans lequel le joueur puisse continuer à découvrir quelque chose de nouveau et à s'amuser, alors qu'on lui raconte fondamentalement... la même histoire depuis plus de 30 ans.

Eh oui, l'univers de Zelda est porté (de façon totalement assumée) par une dynamique cyclique dont les principaux éléments sont destinés à se répéter et, selon les époques, des évènements similaires sont amenés à se reproduire. Nous l'avons dit ailleurs, c'est le magistral A Link to the Past, troisième opus canonique, qui a posé les éléments fondamentaux d'une recette dont Nintendo ne s'est par la suite que rarement écarté, et jamais bien longtemps ; avec cet épisode, le studio introduit la volonté de systématiser ces éléments pour construire l'identité de la saga. La Triforce est l'un d'entre eux.

Link ayant prouvé son courage, sa sagesse et sa force, la Triforce se manifeste à lui pour lui accorder un vœu...
 

Cette volonté de systématisation constitue aussi bien un chausse-trappe pour un studio qui doit sans cesse trouver le moyen de se réinventer à l'intérieur du même carcan narratif. C'est d'une part la raison pour laquelle ces éléments, bien que répétés au fil des jeux, sont restés peu nombreux ; mais on comprend aussi, en filigrane, que c'est d'autre part la raison pour laquelle Nintendo a choisi de développer sa licence par syncrétisme, amalgamant le tout quitte à écorner sa cohérence interne de temps à autre.  

C'est là que l'approche méta intervient, essentielle concernant un univers auquel le créateur souhaite conserver une certaine cohérence interne tout en s'aménageant la possibilité de s'en départir, pour assurer la pérennité de la licence. Il ressort des interviews, notamment des actuels pilotes de la série (E. Aonuma et H. Fujibayashi), et des différentes parutions officielles, que Nintendo joue commodément les cartes du mythe, de la légende et de la tradition orale pour expliquer les approximations et les contradictions qui pourraient apparaître entre les différents épisodes, arguant que de génération en génération, les récits changent, les détails se perdent et les versions varient (c'est écrit noir sur blanc dans Hyrule Historia, par exemple). D'une pierre, deux coups : la cohérence interne est sauvée car, au fond, la même légende persiste, simplement racontée différemment selon les époques et les protagonistes, qui ne disposent que de ce qu'on leur a transmis avec la marge d'approximation et d'incertitude que cela comporte ; et Nintendo peut déplacer à l'envi, d'époque en époque, le curseur des éléments à mettre en valeur... ou pas. 

Recommencer : oui, mais autrement

À la lumière de tout cela, nous en venons à un second point, crucial celui-ci : l'absence d'un des éléments de la recette originelle, dans un Zelda, n'a jamais, Ô grand jamais, signifié ni son inexistence, ni son reniement de la part de Nintendo, moins encore celle d'éléments qu'elle a intronisés depuis l'aube comme récurrents dans cet univers. C'est d'autant plus le cas pour la Triforce que Nintendo n'a fait que verrouiller son mythe fondateur depuis les débuts de la série : la création du monde par les trois divinités (pour la première fois nommées dans Ocarina of Time) laissant derrière elles une relique sacrée se présentant comme l'incarnation matérielle de leur pouvoir tripartite ne sera pas même discutée au cours de la longue histoire de la saga.

La Triforce est donc ne serait-ce que parce que sans elle, aucun récit n'a lieu d'être dans cet univers. Toute histoire n'y est contée que parce qu'elle trouve son origine dans ce mythe fondateur. Et peu importe, ensuite, que la focale se déplace à l'intérieur de l'univers, mentionnant ou non son existence, l'évoquant par un vocable ou par un autre, par allusion ou par simple trace ; l'approche syncrétique que Nintendo a de son univers adoube toute itération liée au mythe fondateur par avance. 

Ce mythe fondateur est non seulement confirmé mais encore renforcé dans l'ouvrage Hyrule Historia, publication officielle (on entend par là : sous licence Nintendo) qui exposait pour la première fois clairement et de façon exhaustive les détails de l'univers des Zelda à la suite du jeu Skyward Sword, épisode canonique de la Wii. Pourquoi ? Parce que l'ambition de Nintendo à travers cet opus est alors de raconter la genèse de ce mythe, l'épisode qui précède tous les autres et donne un sens à l'ensemble — bref, un apport de structure destiné à renforcer la cohérence interne et à justifier de trop nombreuses divergences de timelines. La chronologie multiple de la grande histoire des Zelda se voit ainsi confirmée, offrant au joueur une meilleure compréhension globale de l'univers sans pour autant en faire un verrou. On y voit d'ailleurs trôner des épisodes se déroulant dans des univers dits parallèles, ne laissant plus de place au doute quant à la question de savoir s'ils sont eux aussi inclus dans la trame générale. Nintendo, toujours, ménage sa chèvre et son chou...

Sur une affiche présentée lors d'un salon récent, Nintendo présentait une timeline à jour incluant l'arc Switch dans le grand récit de l'univers Zelda, mais sans établir de lien clair avec le reste des jeux...
 

Dans la vidéo que nous avons mentionnée plus haut, Anarith s'attarde sur le fait qu'il existe un point commun entre les épisodes ayant écarté la Triforce de leur narration : Hidemaro Fujibayashi, créateur impliqué assez tôt au côté de Miyamoto dans le développement de la licence Zelda. Mais c'est oublier que c'est aussi à lui que l'on doit Skyward Sword et des idées visant à rendre les projets de développement plus conformes à l'identité de l'univers (Oracle of Ages/Seasons devant être, à l'origine, un ensemble de trois jeux correspondant chacun à... un fragment de la Triforce).

Bref, entendre que Nintendo a abandonné la Triforce à l'ère de la Switch a pour moi autant de sens que d'entendre qu'elle aurait abandonné l'épée de légende avec Majora's Mask ou Hyrule avec The Wind Waker. Ce n'est pas parce que la focale se déplace dans l'univers qu'elle délaisse son mythe fondateur. Recommencer, oui, mais autrement, mais différemment, car la capacité à surprendre le joueur, à le transporter à partir du même socle narratif constitue le défi permanent relevé par Nintendo pour continuer à susciter chez les joueurs un intérêt durable.

"Allez hop ! Direction Hyrule... Euh, mais au fait, c'est par où, Hyrule ?"

Breath of the Wild — Perte de mémoire ou oubli sélectif ?

La Switch représente un seuil à partir duquel Nintendo franchit tardivement un pas décisif et réalise le rêve de beaucoup de joueurs en développant le premier Zelda en monde ouvert. Tardivement, parce que l'enjeu est monumental ; rater cette marche peut enterrer définitivement la licence et la vie difficile de Skyward Sword résonne encore dans les bureaux. Deux ans supplémentaires pris par Nintendo pour peaufiner le développement de ce nouvel opus malgré l'annonce faite en grande pompe en 2015 témoignent d'un niveau de pression inégalé pour le studio, qui devra présenter de plates excuses.

Cette liberté totale d'aller et venir dans un royaume immense et redessiné dans ce but doit constituer le cœur de l'expérience des joueurs et ne doit, à ce titre, souffrir d'aucune entrave. Dans cette perspective, on devine aisément que le storytelling auquel sont habitués les développeurs en constitue une de taille puisqu'elle contraint fortement le joueur dans ses déplacements.

Qu'à cela ne tienne : Nintendo essore son lore, n'en scénarisant que l'essentiel, tout juste de quoi identifier un Zelda. Au joueur d'aller chercher tout le reste, scènes secondaires, souvenirs, easter eggs et autres éléments de pur fan service, dans un monde qu'il doit parcourir de lui même, à sa guise, sans ne jamais être contraint à suivre une direction unique. Ce parti pris est total puisque, nous le savons aujourd'hui, il est tout à fait possible de combattre le Fléau en slip, tout juste sorti du sanctuaire de la Renaissance, sans l'épée de légende. Mais les développeurs vont plus loin en affranchissant le joueur de la mémoire même du héros qu'il incarne, perdue dans le processus de régénération séculaire. Absolument tout l'épisode est bâti sur cette distance prise avec le mythe originel comme avec le passé plus récent, pourtant fondateur des actions réalisées durant le temps de jeu par le joueur, à qui tout pouvoir est donné de s'en défaire quasi totalement s'il le désire.

Si bien que lorsque le joueur opte pour l'option la plus radicale de cette liberté, un seul et unique élément issu du mythe originel de l'univers des Zelda lui apparaît nécessairement, lorsqu'il termine le jeu  : ... la Triforce. 

"Où est la Triforce ?" Là, sous vos yeux.
 

Tout l'enjeu de la trame scénaristique de cet épisode tourne autour de la nécessité pour Zelda de parvenir à maitriser son pouvoir, le pouvoir de toutes les prêtresses d'Hyrule en tant qu'incarnation de la déesse Hylia et héritières de la famille royale ; ce pouvoir, qu'elle tente de réveiller par la prière face à la déesse aux sources du courage, de la force et de la sagesse ; ce pouvoir de la lumière, seul à même de sceller le mal... Tout dans ce descriptif est fidèle au mythe fondateur dans la façon dont il dépeint le porteur du fragment de la sagesse. Que faut-il de plus ? 

En réalité, la nouveauté ne réside pas dans l'absence de mention explicite de la Triforce mais bien dans le fait que la capacité de Zelda de puiser dans son pouvoir ne lui est, pour la toute première fois, pas acquis. Ganondorf se voit octroyer le sien par défaut (c'est d'ailleurs lui qui provoque chaque fois sa fragmentation), Link doit faire la preuve de son courage en surmontant les épreuves jusqu'à faire face à son ultime défi et Zelda... hérite du sien, par le seul fait de sa naissance. Personne n'a vu que la véritable dinguerie de l'arc Switch était d'avoir remis en question le pouvoir dont Zelda est censée disposer de droit divin et qu'elle provoque, en échouant à sceller le Fléau une première fois, la chute de son royaume et la mort de tous ses proches. Ambiance.

Nous pourrions nous en tenir là — car le seul usage par Zelda du fragment de la sagesse suffit amplement à confirmer la présence de la Triforce dans ce monde, mais encore le rôle qu'elle y a toujours joué —si ne subsistaient pas malgré tout des atermoiements sur la question de savoir si elle nous apparaît ici dans sa forme complète ou non. D'une part, on s'en fout ; depuis quand ce détail fait débat ? Elle n'apparait ni dans le cours des évènements d'Ocarina of Time, ni dans celui de Twilight Princess, dans lequel n'en est donné qu'une représentation statuaire. Y a-t-il alors eu, à l'époque, des joueurs pour s'émouvoir de son absence ? Non. D'autre part, l'ouvrage officiel Hyrule Encyclopedia apporte un éclaircissement utile au sujet de la relique divine : la Triforce n'apparait jamais complète tant que les trois fragments ont été répartis entre les porteurs (et le livre d'établir consciencieusement les jeux dans lesquels elle apparaît, soit complète, soit fragmentée ; Minish Cap, par exemple, n'en fait pas partie). Lorsqu'elle est fragmentée, il est possible de voir apparaître un symbole au dos de la main du porteur d'un des fragments : ici la main droite de Zelda, lorsqu'elle utilise le pouvoir de la sagesse pour sceller le fléau, conformément au mythe fondateur. Autrement dit, la Trifroce ne saurait à la fois se manifester sous la forme du pouvoir invoqué via l'un de ses fragments et sous sa forme entière ; c'est soit l'un, soit l'autre. 

Il est en outre absurde d'estimer qu'elle détient et use ici du pouvoir d'une Triforce reconstituée. Du point de vue du mythe fondateur, cela n'a aucun sens : la prêtresse d'Hyrule et princesse de la famille royale, toute incarnation qu'elle fut de la déesse Hylia, n'hérite jamais que du fragment de la sagesse, qui contiendra péniblement le Fléau le temps que Link réapparaisse, un siècle plus tard. Link incarne le pouvoir du fragment du courage, sans lequel elle ne peut vaincre Ganon (et ne l'a jamais pu, dans n'importe quel autre épisode) ; c'est d'ailleurs au cours de ce combat final qu'elle reconnaît en Link "son courage infaillible". Un détenteur de la Triforce dans sa forme complète aurait tout simplement fait le vœu d'annihiler le Fléau, car tel est le pouvoir de la relique sacrée lorsque ses trois fragments sont à nouveau réunis. Là encore, nous renvoyons à la clarté du mythe fondateur sur ces détails (notamment tel que décrit dans l'ouvrage précité).

Quelle que soit l'époque, Link incarne le héros élu des dieux à qui revient le fragment du courage et la capacité de brandir l'épée de légende, sur laquelle on peut voir représentée... une Triforce.

Tears of the Kingdom — À mythe, mythe et demi

L'affaire, une fois encore, aurait pu s'en tenir là si Nintendo n'avait pas relancé le jukebox en apportant, avec Tears of the Kingdom, un pan entier et complètement inédit de la mythologie d'Hyrule — rien que ça. Beaucoup de joueurs, ignorant délibérément tous les signes et indices de la présence de la Triforce comme de son rôle dans le jeu précédent, y ont vu une confirmation de la volonté des développeurs de s'écarter de cet élément du mythe fondateur. C'est persister dans une lecture superficielle dont on vient de démontrer l'absurdité, mais admettons que ces nouveaux éléments aient pu semer le trouble et penchons-nous un instant sur la question. L'ouvrage officiel Master Works, paru fin août au Japon, délivre de maigres mais néanmoins tangibles éléments au sujet de la mythologie Soneau, s'il était besoin de compléter la réflexion.

Posons d'emblée que Tears of the Kingdom étant la suite directe de Breath of the Wild, reconnaître la présence et le rôle de la Trifroce dans le second impose d'en faire de même pour le premier. Nous ne pouvons donc que partir de ce postulat, quand bien même les développeurs ont pris soin de ne jamais la mentionner explicitement. 

La lecture de l'ouvrage s'avère riche en détails concernant la mythologie Soneau mais bien pauvre en liens tant avec le premier jeu qu'avec le mythe fondateur de la série. Un de ses plus grands apports est cependant de confirmer que la mythologie Soneau a été intégrée à ses côtés dans le grand récit : la création du monde par trois divinités et la présence de la déesse Hylia y sont reprises, clarifiant le désir des développeurs de ne pas remettre en question l'existence d'un récit dont la Triforce, rappelons-le, fait nécessairement partie. Tout cela est cohérent avec le fait que l'on peut rencontrer, dans les vestiges Soneaus, des statues représentant la déesse Hylia, dont la réalisation est par ailleurs attestée comme étant antérieure à ce qui a été bâti par ce peuple.

L'idée est en réalité ici de dire que ce n'est tout simplement pas le sujet : le mythe Soneau débute peu après la création, racontant que la déesse elle-même confie à une espèce plus sage et aux capacités supérieures le rôle de gardiens des pierres occultes. D'aucuns ont pu y voir une sorte de confusion plus ou moins volontaire de la part de Nintendo entre la Triforce et les pierres occultes, les secondes pouvant en fait désigner la première sous un autre nom, cependant il n'en est rien. Mais si Master Works écarte bel et bien cette thèse, n'allez pas croire que le livre est généreux en détails : tout juste vous dit-on que nul ne sait pourquoi la déesse a créé les pierres occultes (elle les a donc créées...), ni pourquoi c'est aux Soneaus qu'elle est les confiées... Du Nintendo tout craché. 

Certes, le fait que les éléments de lore soient délivrés comme si un des enquêteurs de l'équipe d'archéologues chargée d'étudier les vestiges Soneaus vous en parlait justifie les nombreuses conjectures et suppositions faites par votre interlocuteur imaginaire, mais le fait est que ce dernier pose beaucoup plus de questions qu'il n'apporte de réponses. C'est là tout l'art de Nintendo de distiller pêle-mêle des idées issues de la phase de développement et de se livrer à un véritable jeu de spéculations sur son propre univers afin, toujours, de préserver sa foutue marge de manœuvre. 

Croyez-le ou non, la Triforce n'est pas mentionnée une seule fois dans l'ouvrage, bien que ses traces soient visibles en plusieurs endroits du royaume et son existence suggérée à travers plusieurs autres éléments, y compris dans Tears of the Kingdom : nous savons par exemple que Sonia, avant de devenir l'épouse du premier roi d'Hyrule, était prêtresse d'Hylia (et l'est sans doute restée) ; on sait qu'elle possède elle aussi le pouvoir de la lumière, qui se manifeste chez Zelda par le fragment de la Sagesse, dont elle porte toujours la marque au dos de sa main droite lorsqu'elle y fait appel. Master Works, en plus de confirmer le lointain lien de filiation entre la princesse et le premier couple royal, en déduit que cette dernière a pu, en tant que descendante, hériter de leurs deux pouvoirs (celui de la lumière et celui du temps).

Zelda utilise le pouvoir conféré par le fragment de la sagesse pour restaurer l'épée de légende.

 "Gnagnagna, mais on voit que de la lumière et le fait que ce soit sur sa main droite n'est qu'une énorme coïncidence..."

Allez, je vous aide... zoom, brillance au minimum, contraste au maximum :

Là, si vous ne la voyez pas, c'est que vous ne voulez pas la voir.

Du reste, les représentations de la Triforce ne manquent pas sur le site du temple du Temps, dont Master Works nous apprend qu'il est le second à avoir été érigé (le premier, érigé par les Soneaus, se situe sur l'île céleste principale et abrite d'ailleurs parmi les plus grandes répliques existantes de la statue d'Hylia) sur le site même de l'ancien château d'Hyrule, sur le plateau du prélude, après la guerre du Sceau. 

Inutile de s'attarder ici sur L'ère du fléau qui, sans être un épisode canonique de la série, proposait une trame alternative à celle de la version contée dans Breath of the Wild et dans laquelle Zelda éveille son pouvoir à temps pour botter des culs avec. Cette itération ne fait que confirmer ce que nous avons développé plus haut.


Si l'on veut bien, pour donner un point final à cette réflexion, retourner à une approche méta du lore de la série on retiendra que, de l'aveu même des développeurs, l'équipe ne voulait pas noyer le joueur dans un trop grand nombre d'informations placées côte à côte. Le souci de ne pas égarer l'attention ou de perdre l'intérêt du joueur est ici d'autant plus important que, le jeu se déroulant dans le même monde, il était essentiel de se concentrer sur les parties inédites du récit. Cet aspect particulier des réflexions au cours du développement est expliqué dans l'entretien rentranscrit à la fin de l'ouvrage... Et Nintendo de ménager, toujours, sa chèvre et son chou. 

Zelda is the new Link

En fin de compte, la quête d'une manifestation suffisamment convaincante de la Triforce aux yeux des joueurs apparait sans intérêt puisque, nous l'avons vu, elle a toujours été là. Et c'est, par ailleurs, manquer le véritable cœur de ces jeux.

Si H. Fujibayashi apporte quelque chose de nouveau à la série, cette nouveauté réside bien plutôt dans sa volonté de nous parler enfin de Zelda, dont l'état d'esprit (on lui découvre le doute, la peur, les difficultés d'apprentissage, mais aussi la persévérance, la curiosité et la bonté de cœur), le rôle (pleinement actif, enfin, plutôt que passif) et le pouvoir (qui, nous l'avons vu plus haut, n'est pour la première fois dans un épisode canonique plus traité comme un acquis) font l'objet de développements beaucoup plus importants, autant d'aspects de son personnage qui n'avaient, au fond, jamais vraiment été discutés ou mis en valeur. Lassé, peut-être, qu'on ne s'intéresse toujours qu'aux deux autres porteurs de fragments, deux hommes, deux combattants, à qui toujours était dévolue la part active des péripéties et du dénouement, il a peut-être souhaité installer une dynamique qui ne se déroule pas au détriment de Zelda, qui n'avait jusque là été confinée qu'à la fuite, à la dissimulation ou à la captivité ; comme s'il cherchait à nous dire : "elle n'est pas que le détenteur du fragment de la sagesse, elle peut être et est bien plus que cela". C'est ça, à mes yeux, le véritable et magnifique apport de l'arc Switch. 

Et qui sait : dans la droite ligne de ce que H. Fujibayashi nous a déjà apporté, Echoes of Wisdom annonce peut-être les prémices d'un futur épisode canonique dans lequel, enfin, Zelda fera partie intégrante de l'expérience du joueur. Il est permis de rêver !

Sur le poignet de Sonia, première reine d'Hyrule et prêtresse d'Hylia, est tatoué un motif vaguement familier...

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