Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Retour sur #1 : Plop, de Rafael Pinedo (Fr : 2011 ; Es : 2002)

 


  • ISBN grand format : 9782916141688
  • ISBN poche : 9782072802171
  • 176 pages
  • Parution grand format : 27 janvier 2011
  • Parution poche : 04 avril 2019

Quatrième de couverture

Plop ! C’est le bruit qu’il a fait en tombant dans la boue à sa naissance. Plop. C’est le nom dont on l’affublera désormais au sein de la tribu.
Le Groupe qui l’accepte évolue dans un monde d’après : déchets, gravats, pluie incessante. Cette fin du monde a pour décor des immondices, pour habitants des humains en fuite permanente et soumis à une loi du plus fort exténuante.
Mais Plop est différent, il va plus loin que les autres, il se hisse, sort du trou.

Un roman cru et sauvage, picaresque et futuriste. Mieux qu’une provocation, un livre impitoyable.

Ma chronique 

Aujourd'hui, j'ai envie de revenir sur Plop, un titre que j'avais innocemment acheté pendant ma phase de découverte. J'achetais à peu près ce qui me tombait sous la main, pêle-mêle. Au premier abord, Plop est un texte assez court, au titre intriguant et à la quatrième — ce que l'on découvre à la lecture — très honnête. Mieux vaut ne pas sous-estimer l'avertissement... 

Plop est, à ce jour, le récit le plus sale avec lequel il m'ait été donné de passer un moment. D'un bout à l'autre, c'est une épreuve à traverser dans la consternation, le dégout et le désir constant de détourner son regard intérieur. Une longue période de digestion m'a été nécessaire pour soutenir aujourd'hui que c'est un très bon texte, et c'est sur la base d'un souvenir atténué que je m'en vais vous expliquer pourquoi (car non, je ne m'en infligerai pas une deuxième lecture).

"Sale" ? Du sensationnalisme tape-à-l’œil à la souillure de l'âme

J'ai une sainte horreur du dégueulasse qui n'aurait d'autre raison que lui-même. Le sensationnalisme est cette mise en scène tapageuse qui en appelle au voyeurisme tapi en chacun de nous. Non seulement l'effet est attendu, mais il est recherché à coups de surenchère de détails gores et d'atrocités gratuites. Il s'agit d'exposer à vos yeux et sous toutes ses coutures le matériau brut, dans tout ce qu'il a de primaire et de gratuit : un déclencheur à émotions, ni plus ni moins. Je n'en suis pas cliente. 

J'ai en revanche un grand amour pour le storytelling : celui qui ne cherche pas à faire remuer l'animal en moi, mais à toucher l'être humain ; celui qui m'invite — m'enjoint, parfois — à interroger ma condition et celle de mes congénères, mes perceptions sur le monde, mes croyances et ma culture, le temps et l'environnement dans lesquels je m'inscris, en tant qu'individu comme en tant qu'élément d'une société. Présenté sur ce plateau-là, le dégueulasse peut m'être servi quasiment sans limites.  

En bref, s'il y a un propos à défendre sur le fond à l'appui de la forme, j'accepte d'entendre ce qu'on a à me dire. Évidemment, pour chacun d'entre nous, tout est question de dosage. C'est pourquoi je vous invite à explorer les chroniques écrites à son sujet par les blogopotes.

Pour en revenir à Plop, il est facile d'y voir une provocation de plus, voire de trop dans un monde qui contient déjà son lot plus qu'honorable de dégueulasse. Au premier abord, c'est indéniable, ce récit est sale dans tout ce qu'il dépeint. "Cru et sauvage", nous dit la quatrième. C'est peu dire. 
 
Alors, pourquoi soutenir qu'il serait plus que ça ?

De l'importance du format

En moins de 200 pages, Plop survole l'existence de son protagoniste.
 
S'attarder plus longtemps reviendrait à commencer à élaborer des origines et des justifications à la violence subie par le lecteur. Autrement dit, à l'aider à la rationaliser pour mieux la digérer. C'est par exemple le cas dans le premier tome de La Guerre du pavot, qui contient un des passages les plus sales que j'aie pu lire, mais dont la violence brute est en quelque sorte diluée dans le contexte de l'intrigue (les horreurs de la guerre).
 
Plop est d'autant plus impitoyable qu'il est court : jeté à nos pieds telle une carcasse d'humanité, une claque qui aurait jailli de nulle part, il faudra s'en débrouiller jusqu'à en sortir sans trop comprendre ce qui nous est arrivé, ni pourquoi. Il ne laisse tout simplement pas au lecteur le temps de trouver une échappatoire, ni même une justification quelconque au sein du texte. 

De l'absence d'exutoire

Autre aspect essentiel à l'efficacité du récit : son absence d'exutoire.

Rafael Pinedo a veillé à ne laisser au lecteur aucune possibilité de canaliser la violence qu'il expose crument : ni par la vengeance ou la recherche de justice, à l'instar d'un Dragon (Thomas Day, Le Bélial'), ni par la dénonciation d'évènements historiques, à l'instar d'un L'Homme qui mit fin à l'histoire (Ken Liu, Le Bélial').

Point de salut. Plop nous propose un miroir duquel il est impossible de détourner le regard ou d'ignorer la vue. C'est cette confrontation brutale qu'il faut endurer pleinement, d'un bout à l'autre, sans autre secours pour la supporter.

Souillure de l'âme : l'humanité face à elle-même

Car c'est moins la forme qui m’écœure, dans Plop, que le fond. Un propos impitoyable, en effet, met le lecteur face aux limites de sa propre humanité. Dans un monde où l'ensemble de nos civilisations auraient failli, au cœur d'un futur sombre et lointain, aux portes de la disparition de notre espèce, Rafael Pinedo explore une des hypothèses — effroyable, celle-ci — de ce que nous serions devenus.

Avec la disparition du fameux contrat social, et avec lui de toute idée même de civilisation, l'auteur essentialise l'espèce humaine à sa violence dans ce qu'elle a de plus cru et de plus sauvage. Nous y revoici donc, à cette quatrième : Plop brutalise le lecteur dans le portrait qu'il fait de l'espèce. Point de sadisme dans cette écriture, qui ne fait qu'en appeler à des notions familières : la mécanique cruelle de la loi du plus fort et de la survie. Que resterait-il alors de l'humanité, celle qui nous fait croire que nous pouvons nous élever, au crépuscule d'une existence qu'elle aurait souillé de son orgueil ?

Cette mise à nu est jetée là, sans fard, sans artifice : nul besoin de surnaturel pour souligner une réalité qui, postule Pinedo, ne fait que dormir. Plop ne propose que l'humanité et rien d'autre, une humanité bouffie de ses vices les plus atroces et parée d'une laideur qui constitue en partie sa nature même.

D'un bout à l'autre, la vie de Plop est misérable et écœurante. Il n'est que de passage dans un monde qui meurt dans une indifférence partagée avec ses derniers survivants, soumis à des lois aussi simples qu'implacables. Aucun parti pris moral ne vient diluer ce sérum : ni bon ni mauvais, ce protagoniste s'est contenté de naitre, d'exister et de mourir lamentablement.

Souillure de l'âme ? Si on se sent sale après avoir lu Plop, c'est parce qu'il va atteindre au cœur de ce que nous sommes ou croyons être. Il va effleurer cette part de l'humain que nous taisons pour la plupart, mais que l'on craint tous de voir s'exprimer. Si on veut détourner son regard intérieur, c'est bien parce que cette laideur est difficile à assumer. 
 
Et tout l'intérêt de l'exercice est là : nous mettre face à ce que nous nous efforçons la plupart du temps d'ignorer, en supprimant toute possibilité de le fuir. Âmes sensibles, s'abstenir.

Commentaires

  1. Je n'ai vraiment pas - mais alors vraiment, vraiment pas - été aussi emballé que toi. Ce livre a plutôt eu l'effet d'un pétard mouillé sur moi.

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    1. J'insiste sur le fait que j'ai dû le digérer très, très, très longtemps avant d'en avoir cette perception, et encore, sans le relire. Parce que je ne le relirai pas, c'est une certitude. ^^

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