Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Challenge Madeleine de Proust : saison 4, par Un Papillon dans la Lune

 

Cette année, je participe à la saison 4 du challenge Madeleine de Proust organisé par Un Papillon dans la Lune. Quoi de mieux pour se remémorer le bon vieux temps et les œuvres SFFF qui l'ont accompagné ? Il y en a eu beaucoup, mais j'inaugure cette première participation avec un jeu vidéo qui occupe une place toute particulière dans mon parcours.

Qui dit madeleine de Proust dit souvenirs d'enfance, alors pour faire les choses correctement comme le veut l'exercice, on mélangera les deux. Il y aura donc plusieurs hommages que je suis heureuse de partager avec vous.
 
Cette année, je vous parle du Zelda des Zelda...

The Legend of Zelda : A Link to the Past

Imaginez un peu.
 
Nous sommes en 1992. C'est Noël, précisément. Je viens de faire mes 3 ans.
 
Comme chaque année, mon grand-père a soigneusement installé sapin et crèche, avec cette fichue mousse qu'il devait probablement récolter quelque part dans le jardin ; je jouais souvent avec les figurines, surtout avec Marie et l'agneau. J'ai oublié les odeurs, mais les images sont encore là. Le 24 au soir, en pyjama ou déguisés, selon les envies, nous allons, mon frère et moi, nous prêter à la tradition familiale qu'on attend le plus à cette période de l'année : ouvrir nos cadeaux.

C'était quelqu'un de simple, mon grand-père. Il nous adorait, et Noël était certainement une des occasions de nous le montrer à sa façon. On ne le saura jamais, mais il avait dû se rendre à la grande surface la plus proche, cette année-là, pour demander conseil sur ce qu'il pouvait offrir à des enfants de nos âges. J'imagine sans mal un vendeur lui conseiller la dernière console à la mode, la Super NES, et quelques jeux déjà extrêmement populaires avec lesquels elle se vendait. Il ne savait pas ce que c'était, cette machine. Mais le vendeur avait dû le lui assurer : c'était LE cadeau incontournable de l'année. 

Mon paternel (l'amour soit sur lui) affirmerait certainement le contraire, mais ce providentiel inconnu était dans le vrai : ce cadeau, premier d'une longue série d'achats, ferait de nous des joueurs passionnés. Mon grand-père avait pris plusieurs cartouches parmi celles qui lui avaient été conseillées. Entre autres excellents jeux qui marquèrent l'histoire du jeu vidéo ces années-là : The Legend of Zelda, A Link to the Past.

 
J'ai donc joué à mes premiers jeux vidéo à l'âge de 3 ans. À cet âge-là, on ne comprend pas grand chose. Et je cherchais surtout à faire comme mon grand frère. 
 
Dans une cartouche de ALTTP, il y a trois parties disponibles. Mon frère, qui se faisait toujours passer en premier, prenait la première, et moi la deuxième. À l'époque, je le regarde beaucoup jouer parce que je ne comprends pas toujours ce qu'il faut faire. Et puis, quand il veut bien me laisser jouer à mon tour, je lance ma partie et je fais... de la merde, globalement. Mais à force, on apprend, on comprend. 

Quand j'étais vraiment coincée, je tentais de copier sa partie pour voir ce qui se passait plus loin. Je dis tentais, parce que comme le mécanisme d'effacement et de copie des données m'échappait un rien, cela revenait bien souvent à effacer sa partie. Riez, oui. Il n'empêche qu'à l'époque, ça lui faisait tout bonnement péter un câble, et je passais un sale quart d'heure. 

Les années ont passé. Il y a eu d'autres jeux, d'autres consoles. Beaucoup d'autres. Pour lui comme pour moi, je crois que c'est très lié à une période de nos vies et à un lieu en particulier auquel je reste pour ma part extrêmement attachée. La nostalgie fait son travail. 

Il y a eu d'autres Zelda, aussi. Mais au fil des ans, nous n'avons jamais cessé de jouer à celui-ci. Et, disons ce qui est : nous l'avons poncé dans tous les sens. Le platiner n'est pas bien compliqué. Il n'empêche que cela relève chez moi non seulement de la tradition, mais de l'automatisme le plus basique.

Le Zelda des Zelda


Vous la sentez, l'affirmation arbitraire ? 

Je réfute cette accusation. Il y a plusieurs raisons parfaitement objectives d'affirmer que ce Zelda s'impose bien avant n'importe lequel d'entre eux. Pas seulement parce que c'est par lui que j'ai commencé, mais parce qu'il a tout.

On est en 1992. Les jeux sont des cartouches qu'il n'est plus possible de modifier officiellement après les avoir fait circuler dans le commerce. Pas de mise à jour, pas de patch, pas d'add-on, pas de correctif. On développe un chef d’œuvre ou on produit une daube, sans retour en arrière possible. 

Après les deux premiers Zelda, qui avaient su marquer les joueurs en leur temps, ALTTP doit faire passer la licence à la vitesse supérieure. Il doit marquer les débuts de la Super NES, montrer ce qu'elle a dans le ventre. 

C'est ALTTP qui inscrit la recette du succès de cette saga dans le marbre de l'histoire du jeu vidéo, ni plus ni moins. Le scénario s'étoffe un peu plus, éléments et personnages se dégagent de l'ensemble, une structure interne longtemps reprise par la suite s'installe. Ce graphisme si particulier a pris la patine du temps sans réellement en pâtir, aujourd'hui encore. Et les musiques, mon dieu... Koji Kondo s'est surpassé. Certains de ces thèmes seront réutilisés dans plusieurs autres Zelda, bien des années après.

L'introduction d'ALTTP, en revanche, appartient pour toujours et à jamais à ALTTP. Une des meilleures pistes de l'OST est là, alors que vous n'avez pas encore lancé votre partie :
 

Quoi qu'il en soit, ALTTP est un de ces jeux qui prennent toute la place qu'ils étaient censés prendre. Il n'aurait pas pu être plus, ni mieux. Tout a été exploité, tout a été travaillé, dans ce souci devenu si rare de nos jours de produire quelque chose de parfaitement calibré pour son support, de parfaitement équilibré dans l'ensemble sans ne rien négliger du détail. ALTTP, c'est ça : cette extraordinaire cohésion d'ensemble qui fait que rien, à aucun moment, n'est à jeter. 

D'autres, plus jeunes, diront Ocarina of Time, ou Twilight Princess. Mais ceux-là oublient que le premier doit tout à son ainé, et que le second n'est qu'une resucée du premier, lui injectant tout ce que la N64 ne pouvait pas faire.

Ma première question, quand Breath of the Wild a été annoncé ? Est-ce qu'Excalibur dort dans les Bois Perdus. Plus de 20 ans après, alors que le petit dernier réalise le fantasme absolu des fans de la saga en lui offrant un monde ouvert, Nintendo savaient qu'ils ne pouvaient pas placer Excalibur ailleurs que dans les Bois Perdus.

En bref, ALTTP irriguera encore longtemps cet univers parce qu'il demeure encore à ce jour l'étalon type du Zelda réussi. Non qu'il soit impossible d'en dévier : Majora's Mask et The Wind Waker l'ont fait avec brio. Mais sa recette est toujours le point de départ d'un Zelda canonique, qu'il s'agisse de la suivre ou de s'en départir. 

Un de mes exemples favoris de cette affirmation se trouve dans The Wind Waker, qui peut se targuer d'avoir une des meilleures fins de tous les Zelda et certainement la version la plus aboutie du personnage de Ganondorf, aka le porteur du fragment de la force. Dans la magistrale scène précédant le combat final, parvenu à ses fins en réunissant les trois fragments à lui, il s'accorde le temps de se remémorer Hyrule et la règle qui préside à l'utilisation du pouvoir qui lui permettra de la ressusciter...


... Mais oublie, en prononçant son vœu, de toucher la Triforce. 
 
Tout ce qu'il a fait jusqu'alors est réduit à néant quand le roi d'Hyrule, la main posée dessus, prononce son propre souhait, celui de donner aux deux enfants l'espoir d'un futur libéré du passé. On peut entendre, en toile de fond, des thèmes que Koji Kondo avait composés pour ALTTP. 

Mais on peut surtout se souvenir que c'est ce dernier qui avait posé cette règle dont dépend le fameux twist final de The Wind Waker.
 
La Triforce réalisera les vœux dans le cœur et l'esprit de la personne qui la touche.

 Souvenirs et nostalgie

Je l'ai dit récemment : ce jeu, entre tous, m'a fait joueuse.

Il est aussi profondément imbriqué dans mes souvenirs d'enfance, intimement lié à ma terre d'or à moi. Lointaine, désormais inaccessible et qu'aucune Triforce ne ramènera. En cela, le message d'ALTTP comporte une très jolie note d'espoir et de sagesse : chéris ce que tu as maintenant et, puisque le passé n'est plus, garde tes souvenirs près de toi mais ne les laisse pas te faire oublier le présent. 

Le vœu de Link n'est pas connu mais il n'est pas difficile, en regardant le générique de fin, de comprendre qu'il a souhaité que la vie reprenne son cours comme si toute cette folie n'avait jamais eu lieu, laissant la terre d'or au passé.

Du reste, j'aurais encore pu évoquer de nombreuses choses concernant l'imaginaire que nous avons construit autour de ce jeu, avec mon frère. Nous nous racontions des histoires, presque toujours les mêmes, et nous étions heureux. Voilà tout. 

Parmi elles, il y a celle de Johnny.
C'est ce mec, bien planqué sous un pont, qui n'en a clairement absolument rien à foutre de tout ce qui se trame à Hyrule. Il est là, avec sa petite tente et son feu, à buller sans se soucier le moins du monde de ce qui se passe à l'extérieur. Ce mec nous fascinait, tant sa désinvolture est grande. Il incarne, d'une certaine façon, le second degré dont Miyamoto a toujours fait preuve, la nécessité de ne pas trop se prendre au sérieux. Je ne sais plus pourquoi nous l'avons appelé Johnny, mais mon dieu, qu'est-ce qu'on a pu se marrer en nous imaginant son histoire.
Quand on lui parle pour la première fois, il offre une des quatre bouteilles vides du jeu à Link. On découvre aussi qu'ils se connaissent déjà, tous les deux.

Sacré Jonnhy...

Je finirai par une anecdote qui concerne le plus gros easter egg du jeu.
 
Quand j'étais toute gosse, je ne faisais à peu près rien d'autre que reproduire ce que faisait mon frère. Il est cependant des moments où, à son plus grand désarroi, je découvrais quelque chose avant lui. Je ne sais plus bien dans quelles circonstances je suis un jour tombée dans la fameuse salle secrète, mais cela ne m'est arrivé qu'une fois et totalement par hasard. Impossible de comprendre, alors, comment j'avais fait. Impossible, donc, à reproduire. 

Des années plus tard, l'easter egg était déjà beaucoup plus connu, de même que ce qu'il était nécessaire de faire pour parvenir jusque dans cette salle cachée... J'y suis retournée pour le fun.

Il s'avère que cette salle était en réalité une "failsafe"...

Je ne peux m'empêcher, en évoquant tout ça, de repenser à cette époque. À mes grands-parents, qui dorment désormais tous les deux quelque part au cœur de la terre d'or. En hommage et en cette période, qui a aussi vu mon grand père naître et mourir, je leur adresse tout mon amour. Mario, Lola, merci pour cette enfance pleine de tendresse, de liberté et de magie, dans cette maison qui nous a si souvent réunis. Nous y avons été tellement heureux, sans réaliser à quel point c'était précieux.

Bonnes fêtes à tous, prenez soin de vous et des vôtres. :)



 
 

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