Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Le Chien du Forgeron, de Camille Leboulanger, chez Argyll Éditions (2021)

 

Parution : 19 août 2021
256 pages
ISBN : 9782492403194

Quatrième de couverture  

Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez-moi vous divertir avec l’histoire de Cuchulainn, celui que l’on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s’est rendu dans l’Autre Monde plus de fois qu’on ne peut le compter sur les doigts d’une main, celui qui a repoussé à lui seul l’armée du Connacht et accompli trop d’exploits pour qu’on les dénombre tous.
Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l’histoire que je m’apprête à vous narrer n’est pas celle que chantent les bardes. Elle n’est pas celle que l’on se raconte l’hiver au coin du feu. J’en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l’image d’un grand homme. Pourtant, vous entendrez ce soir la véritable histoire du Chien. L’histoire derrière la légende. L’homme derrière le mythe.
Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d’un homme qui parle trop…

« Il en est ainsi des bonnes histoires : peu importe si l’on connaît leur déroulement ou si l’on devine la fin. Cela ne gâte en rien le plaisir de les entendre ni même celui de les raconter. Une bonne histoire est comme une bonne chanson. C’est un air dont on ne se lasse jamais du refrain. »

Ma chronique 

« Il m’est apparu, au cours de l’écriture, que ce texte était un roman anti-viriliste. [...] Cúchulainn, comme de nombreux antiques produits de sociétés patriarcales, est un héros viril : fort, rapide, conquérant. Ses attributs sont phalliques : la lance, la foudre. C’est cette masculinité là dont parle le livre, par le biais du Chien. Elle est violente pour ses proches et pour lui-même. Surtout, elle est une construction sociale qui finit, en la personne du Chien, par être hors de contrôle. »
 
Il est intéressant de se pencher sur le regard que Camille Leboulanger porte sur son propre récit. Anti-viriliste, il l'est certes par incidence, dans le cynisme avec lequel concourent tous les éléments constitutifs du parcours d'un petit garçon qui ne fait que suivre la voie tracée devant lui. Et l'auteur de mettre rapidement à bas les interprétations qui voudraient enjoliver par trop le drame annoncé : le destin n'y a aucune part. Tributaire de sa culture, de ses croyances, de sa condition sociale, de son statut, de ce que lui inculquera sa famille depuis la prime enfance et, bien sûr, de son genre, Setanta embrasse la place que la société lui a forgée. Les choix qui auraient pu l'écarter de ce parcours disparaissent derrière les codes auxquels tous se plient, célèbrent sa folie au lieu de la condamner, encouragent sa violence au lieu de l'apaiser. Bref, cultivent son tempérament sans jamais parvenir à le maitriser.

Cette histoire est celle d'un glissement inéluctable vers le tragique, laissant l'entourage de Cúchulainn totalement impuissant à faire dévier sa trajectoire ; celle de l'empreinte qu'il laisse dans la vie de ceux qu'il rencontre et dans le monde. Jusqu'à son dernier souffle et en dépit des faits, le Chien demeure attaché à ce qu'il appelle son destin, à tel point que l'ironie qui entoure les circonstances de sa mort en devient frappante.

Pour sublimer ce cynisme, il fallait un conteur. Et quel conteur ! À la fois protagoniste et témoin, le narrateur permet à Camille Leboulanger d'embarquer son auditoire imaginaire avec lui au fond d'une taverne. Il est tout à la fois une respiration dans la course effrénée qu'est la vie du Chien, une touche de douceur face à sa violence, une lueur de rationalité en contrepoint de sa folie. La forme choisie autorise en outre un détachement et une distance nécessaires, uniquement possibles par le point de vue d'un tiers, et un humour capable de contrebalancer la tragédie qui se joue page après page.

Que dire des femmes, dans cette histoire ? L'auteur a pris le parti d'en dire peu, reconnaissant humblement ses lacunes. On pourrait y voir un dédouanement facile, mais je respecte pour ma part un choix qui l'a conduit à développer une critique plus subtile à la lumière de son expérience plutôt qu'à se perdre dans un récit qui aurait paru chercher à satisfaire une sorte de cahier des charges. Loin de taire la part qui les concerne, il en souligne d'ailleurs l'existence, en suggère la complexité et invite d'autres conteurs - d'autres conteuses ? - à en restituer les péripéties.

Dans l'ensemble, l'exercice auquel il s'est prêté s'avère une réussite. Le style et le ton du conteur fonctionnent à merveille. Camille Leboulanger parvient, sans en avoir l'air, à sublimer la tragédie qu'il dépeint en lui rendant sa juste place : dépourvue de gloire réelle, résultat lamentable d'un concours d'éléments façonnant les individus bien malgré eux, les laissant incapables d'évoluer en tirant les leçons qui s'imposent. 

Un seul mot pour conclure : bravo !


 
 
 
 

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