Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Terra Ignota - Chroniques de Mycroft Canner (T3 et T4), d'Ada Palmer, chez Le Bélial' (Fr : 2021/ - ; En : 2017/ - )

544 pages
ISBN : 9782843449758
Parution : 25 février 2021
 
 
Parution à venir
 
Traduction : Michelle Charrier
Langue originale : anglais (États-Unis)

 Quatrièmes de couverture 

Tome 3 : La volonté de se battre

Printemps 2454. L’âge d’or dans lequel vivait l’humanité depuis trois siècles a brutalement pris fin : corruption, prévarication, népotisme et meurtres calculés ; le prix véritable de cette exceptionnelle période de prospérité vient d’éclater au grand jour. Alors que le procès des responsables approche, l’opinion publique se divise : faire table rase du passé pour envisager un monde radicalement nouveau sous l’égide de J.E.D.D. Maçon, le dieu vivant, et ainsi plonger dans la Terra Ignota, ou sauver ce qui peut l’être de l’ordre ancien. Ruches et hors-Ruches, Utopistes et sensayers, seigneurs, empereurs et Servants se préparent à un affrontement qui paraît inévitable. À commencer par le premier d’entre tous, l’ultime prodige de Bridger, Achille, fils de Thétis et du roi Pélée, le maître des arts de la guerre, le dernier espoir, peut-être, de ce monde au bord du gouffre…

Tome 4 - Peut-être les étoiles

 (...)

 Ma chronique

"Nous ferons la guerre, mais nul ne veut craquer la première allumette alors que nous ignorons avec quelle ardeur brûlera le combustible." 

La notion de temps

Quatre mois se sont écoulés depuis les jours de transformation, et Mycroft Canner témoigne toujours des évènements de son époque. Non plus pour lui-même, mais à la demande expresse des puissances d'un monde qui se prépare à se livrer à l'inconnu : la guerre. 
 
Ada Palmer annonce d'entrée la couleur en citant en exergue un passage du Léviathan de Hobbes. Et pour cause, La volonté de se battre en tire non seulement son titre mais s'appuie également sur les idées de son auteur. Hobbes y explique en effet qu'il est dans la nature de la guerre de durer tant que dure la volonté de se battre, celle-ci pouvant préexister aux combats eux-mêmes et perdurer après chaque bataille. 
 
"La notion de temps est donc à considérer dans la nature de la guerre", récite Ada Palmer, qui ira jusqu'à faire de Thomas Hobbes un spectateur tout à fait anachronique des évènements, au côté du lecteur. Depuis le départ, elle s'amuse en réalité à confronter sa quasi utopie à la thèse développée dans le Léviathan, déroulant avec l'intrigue une sorte d'expérimentation à grande échelle. Si, comme moi, vous n'avez pas encore lu l'ouvrage, un simple coup d'œil à la page Wikipédia de l'œuvre éclairera le cycle d'un jour nouveau. Tant d'éléments se recroisent (contexte, argumentation, critiques...) qu'il m'est difficile d'entrevoir les contours de cette discussion imaginée — fantasmée ? — par l'autrice. Et ce n'est là qu'une des strates du raisonnement. Si les deux premiers tomes interrogeaient déjà brillamment l'existence de l'utopie (en questionnant ses possibles, son sens, son coût, ses failles), l'introduction d'un observateur tel que Hobbes confère à sa propre démonstration une profondeur inattendue, et apporte au lecteur une réflexion tout a fait fascinante. Ce troisième livre achève, s'il était encore permis d'en douter, de faire figurer le cycle de Terra Ignota au panthéon des plus grandes œuvres de soft science-fiction.

L'autre particularité notable de ce troisième tome réside dans l'altération du point de vue de Mycroft Canner qui, certes relativement impartial et lucide sur ses propres biais, est devenu psychologiquement instable. Ses chroniques sont parsemées d'hallucinations visuelles et auditives, de pertes de connaissance ou de conscience. Loin d'entraver le récit, elles l'épicent de nombreux éléments intéressants et entretiennent la vision parcellaire du lecteur sur les évènements.
 
Je préfère taire ici certains points majeurs qui caractérisent la lecture de cet épisode et laisserai donc de côté des qui, des pourquoi et des comment dont Ada Palmer s'évertue si rigoureusement à soigner l'entrée en scène. Disons seulement que le rythme, plus lent, délaisse l'emballement du deuxième tome pour une tension beaucoup plus pesante, chaque interaction comportant à elle seule la capacité de déclencher les hostilités ; revoici la notion de temps, pour l'instant tout entier consacré à la préparation d'un affrontement dont personne — ou presque — ne sait prévoir les aspects ni l'intensité.
 
Quant à la forme, l'autrice ne trahit en rien la qualité à laquelle elle nous a habitués. La rigueur l'a même cette fois poussée à écrire des passages d'une précision surprenante : douce musique à l'oreille des juristes mais, je ne vais pas vous mentir, un rien aride à toutes les autres. Guère de quoi s'enfuir, d'autant plus que cela sert toujours parfaitement le propos général. Le plus raisonnable reste, là encore, de se laisser porter.

Ce livre troisième s'achève sur un retournement de situation dont elle a choisi de désarmer l'effet le plus évident presque immédiatement. Je ne suis plus dupe : c'est que la véritable claque qui en résultera est à prendre dans le livre suivant. 
 
D'ici là, il faudra bien prendre son mal en patience. La partie continue, les pions se déplacent : comment Ada Palmer va-t-elle achever sa démonstration ?

À suivre...



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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