Au XIIe siècle les seigneurs féodaux
mènent des guerres sans pitié les uns contre les autres, les campagnes
résonnent du bruit des épées sur les armures et la terre se nourrit du
sang des blessés. Leola, une jeune paysanne, revêt l'armure d'un jeune
guerrier mort sur un champ de bataille pour échapper à la mort et au
viol. Elle va vivre comme un homme, apprendre à se battre et rencontrer
Nynève la rousse, la guérisseuse, la sorcière, qui va devenir son guide
et l'aider à grandir et à faire sa route de femme indépendante dans ce
Moyen Age réel et fantasmé qui permet au talent de conteuse de Rosa
Montero de nous montrer, en l'espace d'une vie, un siècle qui marque l'ouverture du Moyen Age vers la Renaissance.
Avec son héroïne brave et tendre le lecteur visite la cour d'Aliénore
d'Aquitaine, découvre l'Inquisition et l'Église corrompue et rejoint les
Cathares dans leur lutte.
Le grand talent de Rosa Montero est de savoir tenir le lecteur
prisonnier de son histoire tout en l'amenant à s'interroger sur un
siècle turbulent et déroutant peut-être à l'image du nôtre.
Leola va apprendre à penser et à écrire, découvrir les pouvoirs de
l'imagination, rêver du roi Arthur, tout en évitant soigneusement la
malédiction du Roi Transparent.
Émouvant et épique, original et puissant, ce roman a la force
d'entraînement débordante des romans que le lecteur a du mal à
abandonner.
Ma chronique
* Cette chronique est estampillée #DéfiCortex *
À lire l'histoire de Léola, on se demande ce que pouvait bien être la vie d'une femme au XIIe siècle. Et Rosa Montero, qui s'est beaucoup documentée sur cette époque, nous propose un récit aussi touchant que réaliste. De son propre aveu, son texte contient quelques anachronismes, de sorte à faire découvrir au lecteur des éléments éloignés dans le temps, mais qui auraient très bien pu se dérouler en l'espace d'une seule vie, celle de son personnage. On lui pardonnera volontiers ce tour de passe-passe, tant elle s'évertue par ailleurs à conserver une certaine acuité historique concernant les détails, les lieux, les mœurs.
S'affranchir des codes de genre, interroger sa condition
Léola, femme serve contrainte de se déguiser une grande partie de sa vie en chevalier pour assurer sa survie, va progressivement repousser les limites de l'horizon qui devait être le sien, en même temps qu'elle étouffe sa féminité au point de ne plus vraiment savoir comment la retrouver. En volant cette armure à un chevalier mort sur un champs de bataille, elle opte pour un parcours de vie qui transformera à jamais son être, aussi bien physiquement et psychologiquement.
Il eut été bien trop réducteur pour l'autrice de se contenter de rendre la vie de son personnage plus simple. Rosa Montero offre un récit plus subtil, plus nuancé. Si Léolo passe pour un chevalier, il n'a toutefois pas accès à la noble condition traditionnellement attachée à ce statut et est condamné à vivre en mercenaire sur les chemins, à faire le sale boulot qu'on veut bien lui confier ; il vit dans un danger incessant, dans une fuite en avant permanente. Mais Léola, en réalité femme, a perdu la liberté d'assumer son corps et s'enferme dans une solitude morale et sentimentale qui l'épuise. Libre, elle ne l'est jamais vraiment, ou seulement par la faveur d'autres personnes.
Sans parvenir à s'affranchir des codes de genre de son époque, naviguant dans une espèce d'entre-deux inconfortable et indéfini, elle interroge tout de même avec force sa condition de femme et ce qu'elle implique. C'est un des axes majeurs de réflexion de l'ouvrage.
Je
ne cacherai pas que j'ai parfois levé les yeux au ciel à la lecture de
certaines de ses décisions et comportements, mais l'autrice n'a jamais
prétendu écrire une héroïne sans défaut — heureusement. Léola est jeune,
d'abord, puis doit composer avec ses sentiments et attirances, sa
solitude, sa foi, sa lassitude, sa vertu. Chacune de ses rencontres en témoigne.
Bigoterie, foi et... fantastique : le charme de l'inexpliqué
Nynève, qui l'accompagne fidèlement du début à la fin de ce long périple, incarne la touche fantastique de ce récit tout en apportant aux perspectives de Léola un recul et une profondeur que seule une longue expérience (de plusieurs siècles...) pouvait justifier. Riche de la sagesse de celle qui deviendra son amie la plus loyale et la plus proche, Léola traverse les temps difficiles qui sont les siens jusqu'aux premières heures de l'Inquisition. Les pouvoirs et le grand âge de Nynève, auxquels Léola refuse d'accorder un crédit aveugle, se nichent bien sûr dans les inconnus et incertitudes de cette époque très pieuse, propices aux croyances. Plus d'une fois, il lui faudra élargir sa perception au-delà des dogmes de l'Église pour interpréter ce qu'elle voit.
La foi, plus imposée qu'embrassée dans un monde où l'Église jouit d'une grande influence et d'un pouvoir considérable, est également sans cesse interrogée, au travers notamment de la position des Cathares. Rosa Montero se livre ici à une critique un peu plus classique mais non moins pertinente, celle de la violence et de l'intolérance nées d'une certitude dévote au nom de laquelle on se donne le droit de tuer qui ne la partage pas.
L'histoire du roi transparent fait partie des éléments avec lesquels Rosa Montero tisse les parties occultes de son récit : il semble impossible à quiconque de raconter cette histoire jusqu'au bout sans qu'il arrive malheur à son conteur et à ceux qui l'écoutent... Le lecteur, après un grand nombre d'occasions manquées, devra attendre la fin de l'histoire principale pour lire — enfin — celle du roi transparent jusqu'au bout sans qu'il arrive malheur à qui que ce soit.
Il faut également mentionner la légende arthurienne, à laquelle il est fait référence à plusieurs reprises, mais cela reste très secondaire, anecdotique.
Espoir discret, espoir solide
Rosa Montero propose un joli conte sur ce que le fait de s'écarter volontairement ou non des normes établies pouvait signifier à cette époque. Que l'on soit femme, hors de sa condition d'origine, chevalier dénué de tout prestige ou magicienne ; que l'on ait choisi d'autres croyances que celles qui dominaient à l'époque, que l'on prétende s'affranchir de sa classe d'origine ; que l'on soit malade ou différent... L'autrice explore tout cela sans excès de bons sentiments et avec au cœur un espoir tenace qui doit résonner chaque fois que les temps sont difficiles. Nynève, qui aspire à se réfugier en Avalon, cette terre idéale, ne porte pas d'autre message que l'espoir d'un renouveau qui viendra à coup sûr et, même si cet avenir est encore lointain, les maux d'aujourd'hui ne sauraient l'empêcher d'advenir.
Le texte fourmille de citations en puissance, de très beaux passages qui montrent toute l'étendue de la sensibilité de l'autrice aux aspects qu'elle met en avant. Son récit saura éveiller chez certains un intérêt pour les évènements qui ont marqué cette époque.
L'histoire de Léola n'a probablement pas l'ambition de vous emporter, et Le roi transparent n'est sans doute pas une lecture qui marquera fortement mon parcours. Mais il ne faut pas hésiter à accepter cette invitation à se laisser porter par le récit initiatique de ce personnage, qui ne manquera pas de donner au lecteur matière à réflexion et à curiosité.
C'est intéressant de voir une autre facette du travail de Rosa Montero, moi qui aime bien sa série sur Bruna Husky, merci pour la découverte. Pas sûr de me lancer néanmoins, ça a l'air moins marquant même si on y retrouve quelques points communs. Je vais d'abord aller voir du côté du troisième tome qu'il me reste à lire. ^^
RépondreSupprimerJe suis volontairement allée choisir du côté des récits moins connus, et celui-ci m'intriguait. Moins marquant certes, mais aucun regret pour ma part. ^^
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