Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Djinn City, de Saad Z. Hossain, chez Agullo (Fr : 2020 ; En : 2017)

 

Date de publication grand format : 8 octobre 2020
Langue originale : anglais (Bangladesh)
Traduction : Jean-François Le Ruyet
ISBN : 979-10-95718-85-7
576 pages

 Quatrième de couverture 

Il est le fils du Dr Kaikobad, ivrogne et mouton noir de l’illustre clan Khan Rahman. De sa mère, il ne sait qu’une chose : elle est morte en lui donnant naissance. Mais quand son père tombe dans un étrange coma, le jeune Indelbed découvre le secret de ses origines et le vrai métier de Kaikobad : émissaire auprès du monde des djinns, êtres fantastiques, redoutables… et extrêmement procéduriers. Très vite, le garçon se retrouve au centre d’une controverse millénaire dont l’issue pourrait être l’extermination de l’humanité.

En donnant une nouvelle vie aux créatures surnaturelles de la mythologie arabe, Saad Z. Hossain livre un récit époustouflant où se croisent vaisseaux spatiaux, villes englouties, sous-marins soviétiques, guerres oubliées, manipulations génétiques et, bien sûr, quelques dragons... 

Ma chronique  

* Cette chronique est estampillée #DéfiCortex *

Djinn City m'a comme qui dirait un peu prise par surprise. Lu à la faveur d'un défi Cortex qui touche à sa fin, j'ai timidement approché ce texte à la manière d'un crabe. Je ne sais plus dire si l'espèce de flottement que j'ai ressenti au début de ma lecture est du fait de ma réticence initiale ou du texte en lui-même. Peu importe. Ce dernier a fini par m'emporter avec lui au fil des pages, au moyen d'une recette que je vais m'efforcer de retracer clairement.

Il cache bien son jeu, le salaud...

Hossain dévoile ses cartes lentement, une par une, prend le temps de planter son décor. C'est important, le décor, surtout quand on l'a si bien conçu. Djinn City est une montée en puissance de tous les éléments qui le composent : univers, personnages, enjeux. Tous convergent vers une fin dont l'attente devient insupportable à mesure que l'on avance dans la lecture. 

L'enjeu principal est pourtant dévoilé dès le départ : Indelbed, fruit d'une union entre un humain et un djinn, est un petit garçon dont l'existence est problématique tant pour sa famille humaine, qui le traite en paria, que pour les djinns, dans les petites affaires desquels il sème la discorde.

Habilement, Hossain fait mine de dévoiler l'enjeu central dès le départ... mais pas son ampleur réelle. Le secret de la recette est là : dans ce à quoi le lecteur ne peut pas s'attendre. L'auteur fait glisser l'intérêt de cette information dans les ramifications ahurissantes qu'elle prend à mesure que le récit avance, de sorte que non seulement il est impossible de prévoir chaque point de développement, mais également jusqu'où il pourra mener ce développement. 

Dans la première partie du récit, nous disions donc, Hossain installe minutieusement les éléments de son décor. La mythologie arabe, au travers de l'existence des djinns, est le prétexte de tout une construction sur les traits qui les caractérisent, leurs pouvoirs, leur société, leurs lois, les courants de pensée qui les rassemblent comme ceux qui les divisent. Cette chronique ne saurait entrer dans le détail de façon satisfaisante et je me contenterai donc d'affirmer que la construction de cet univers parallèle est dingue, réalisée avec beaucoup d'intelligence, de pertinence et, par bien des aspects, loin d'être innocente. Il est en effet difficile de ne pas voir, dans certains choix, une critique sous-jacente de traits et tendances parfaitement humains.
 
Rien n'est laissé au hasard par l'auteur qui, dans un second temps de son récit, se servira d'absolument tout ce qu'il a mis en place, tout en laissant les zones de mystère et d'ombre essentielles à la respiration de l'imagination du lecteur. L'équilibre frise la perfection.
 
Hossain entretient la curiosité de son lecteur sans jamais en faire une frustration. Tourner la page devient à la fois un pari, celui de savoir si on a réussi à anticiper le prochain mouvement (non), et le désir sans cesse renforcé de vouloir comprendre où il va. Et la magie œuvrant de cette façon jusqu'à la dernière page, inutile de vous décrire quel degré de tension vous pouvez avoir atteint dans le dernier quart de la brique...

Pas une seule erreur de casting 

Si, à mon sens, il n'est pas dans ce récit un seul personnage à jeter, la prouesse réside plutôt dans le contournement, sinon la destruction de tous les archétypes dans lesquels Hossain aurait pu facilement tomber. Les femmes, en particulier, font l'objet d'une écriture particulièrement étoffée et intéressante. Tante Juny remporte ma palme personnelle tant Hossain réussit à en dresser un portrait complexe, touchant et réaliste.

Dans la droite ligne de ce que je disais précédemment, aucun n'est jamais là où on l'attend, même pour ceux dont il s'agit d'être fidèles à eux-mêmes. Matteras, dont les intentions sont pourtant limpides, arrivera à surprendre le lecteur ; il en va de même pour Givaras, pour Bahamut, pour Kaikobad, le père d'Indelbed. 

Il y a, chez tous ces personnages, une rigueur et une exigence rares en termes d'écriture, celle de rechercher autant que possible la complexité des individus et des relations interpersonnelles. J'en ai peu lus qui ont réalisé l'exercice avec un tel degré de nuance.

Jongler avec les registres...

La richesse de cette écriture passe aussi par le fait que l'auteur jongle entre les registres. Si on sent que sa galerie de personnages l'y a aidé, on sent surtout qu'elle a été un prétexte à alterner entre poésie et humour, entre humour et gravité, entre gravité et épique, et ainsi de suite. Une alternance qui, là encore, lui permet de préserver son effet de surprise permanent. Il en tire une immersion plus forte et un univers plus crédible, puisque ses personnages semblent vraiment portés par une voix et un ton qui leur sont propres.

... et les genres.

On s'en étonne à peine, tant Hossain s'évertue à piocher ses ingrédients un peu partout. Ce qui commence au départ comme un roman fantastique se révele rapidement être de la fantasy, car le surnaturel est partout et ne demandait qu'à être découvert. Ce qui n'empêche pas notre auteur touche-à-tout de faire appel à une certaine rigueur scientifique dès lors qu'il s'agit de démontrer une parentée de gênes entre les humains et les djinns. 
 
L'ouvrage est donc, en soi, une sorte d'hybride qui ignore le cloisonnement des genres.

Vous avez dit "fin" ?

Cette histoire s'arrête plus qu'elle ne prend fin, puisque l'auteur a décidé, après s'être appliqué à faire monter son infernale mayonnaise, à priver son lecteur de dénouement. La fin n'en est pas une, donc, et vous fera sans doute jeter le livre en travers de la pièce en poussant un juron. Franchement, à quoi pouvait-on s'attendre, de la part de quelqu'un qui laisse les limites de son développement dans le brouillard ?

Après la sidération viendra l'incrédulité : impossible que Hossain ait l'outrecuidance de s'arrêter là, comme ça. N'y tenant plus, j'ai posé la question au talentueux monsieur, qui m'a répondu sur un ton amusé qu'il venait de commencer la suite.

À défaut de vous révéler les évènements qui clôturent cette première histoire, j'espère au moins que cette information soulagera la frustration qui ne manquera de camper votre esprit pendant un bon moment ! Il faudra prendre son mal en patience...


Commentaires

  1. Mon envie de le lire n'a cessé de croître au fur et à mesure de ta chronique. Et paf, voilà que c'est finalement plus un tome 1 qu'autre chose. Quelle tristesse. =(

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    1. Crois-moi, arrivé à la fin de ce récit, si tu as aimé, tu devrais appeler une suite de tes voeux. Djinn City peut se suffire à lui-même si tu peux te passer de dénouement...

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