Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Isolation, de Greg Egan, au Livre de Poche (En : 1992 / Fr : 2000)

 

381 pages
Date de parution : 18/06/2003
EAN : 9782253072508
Editeur d'origine : Denoël
 

Quatrième de couverture 

Une belle nuit, il y a trente-trois ans, les étoiles ont disparu. La Terre et avec elle l'humanité se retrouvent isolées dans une Bulle cosmique centrée sur le soleil, placées en quarantaine. Pourquoi ? Par qui ? Les hypothèses dégénèrent en cultes religieux insolites et souvent malsains. Et dans le même temps, l'humanité a appris à vivre dans les mondes virtuels. Ou bien est-ce tout l'univers qui serait devenu virtuel ? La clé du mystère serait-elle détenue par Laura Andrews, trente-trois ans, l'âge exact de la Bulle ? Mais Laura a disparu. Et les Possibles se déchaînent. Un roman quantique, éblouissant, par la grande révélation de ces dernières années, Greg Egan, écrivain australien, dont certains prétendent, puisque personne ne l'a jamais rencontré, qu'il serait un programme informatique, le premier auteur artificiel.
 

Ma chronique 

* Cette chronique est estampillée #DéfiCortex *

Après Cérès et Vesta, une nouvelle parue chez Le Bélial' dans la collection Une heure lumière, c'est avec un rien d'appréhension que je me suis lancée dans un roman de Greg Egan. On sait l'australien rompu à la hard SF, son genre de prédilection ; des lectures qui ne sont pas toujours aisées à suivre. 

La première partie du roman commence par poser un contexte simple : Nick, un ancien flic, effectue en freelance des boulots pour des clients qui le mandatent ponctuellement. Il est recruté par un client anonyme pour retrouver Laura, une jeune femme atteinte d'une déficience mentale inexpliquée et telle qu'elle n'est pas autonome. Celle-ci a pourtant réussi à s'échapper à plusieurs reprises de l'institut qui s'occupe d'elle sans que personne ne sache comment elle a pu contourner les dispositifs de sécurité.
 
Deux éléments importants sont introduits dès le départ. Le premier est la disparition des étoiles : l'humanité ne perçoit plus, depuis une trentaine d'années, que son système solaire et sa propre étoile, le reste ayant disparu derrière un écran noir dont personne ne parvient à déterminer l'origine, ni la nature, ni la raison d'être. La seconde, les mods : dans ce futur relativement proche, il est désormais courant d'implanter dans le cerveau des mods permettant d'en optimiser, d'en contrôler ou d'en compléter le fonctionnement. 
 
Cette première partie s'achève lorsque Nick découvre que Laura est bel et bien gardée dans le bâtiment d'une puissante multinationale dont il a remonté la piste. La jeune femme y est sous bonne garde.

Une fois ce contexte posé, une deuxième partie peut commencer : Nick est recruté par cette multinationale pour effectuer un travail de garde du corps. Ses nouveaux employeurs s'assurent sa fidélité grâce à un mod de loyauté. C'est dans cette partie, bien plus corsée, que Greg Egan va explorer des concepts propres à la physique quantique à coups de longues explications : la fonction d'ondes, la mesure quantique et la réduction de paquet d'ondes. Je nous épargnerai à tous un exposé laborieux que Wikipédia vous fournira avec plus de clarté, mais la chose peut se résumer ainsi : les capacités de Laura sont liées à sa maitrise de ces concepts de physique quantique, et la multinationale cherche à l'exploiter sous forme de mods. Un mod d'étalement, durant l'utilisation duquel toutes les probabilités existent ; un autre de réduction, qui effectue la mesure et réduit le paquet d'ondes à l'une d'entre elles, la solidifiant en réalité unique. 

Les réflexions auxquelles se prête l'auteur sont fascinantes : les croyances suscitées par l'isolation récente de l'humanité du reste de l'univers, la façon dont elles ont influencé le monde ; l'éthique liée à la suppression volontaire d'un éventail de probabilités pour n'en retenir qu'une seule au moment de la réduction du paquet d'ondes (les individus existant dans ces probabilités sont-ils vivants ? s'agit-il de meurtre ? de génocide ?) — et Greg Egan joue de cette possibilité au niveau même de la narration ; l'utilisation des mods falsifie-t-elle notre rapport au vivant, à la vie, le rend-elle superficiel, inauthentique, inhumain ? ; un mod de loyauté peut-il être détourné de sa fonction en passant d'une façon de concevoir le monde à une autre ? La raison de l'isolation de l'humanité trouvera bien sûr une explication, à partir d'un postulat simple (et évidemment fictif) : chaque être humain réduit le paquet d'ondes d'un élément en posant les yeux sur lui. La réflexion qui est attachée à ce postulat est vaste et ses implications complexes, je vous invite donc à les découvrir en lisant le roman...
 
L'écriture est sobre, presque clinique. La narration à la première personne du singulier, prêtée à un personnage presque extralucide tant sur lui-même que sur son environnement, produit une expérience de lecture froide et dénuée d'émotions. Cet aspect pourra paraitre gênant à certain.e.s mais se prête cependant bien au protagoniste principal et aux questions que l'auteur se pose à travers lui.
 
À quelques dizaines de pages de la fin, l'affaire part complètement en sucette turque. Résultat imprévisible de la volonté d'un chercheur de supprimer la possibilité de réduction du paquet... autrement dit de pouvoir faire coexister toutes les probabilités en même temps. Ce qu'en décrit Greg Egan est clairement fumé à la moquette. Et cependant, la vie continue.
 
On conclura ici en disant que d'aucuns trouveront sans nul doute la lecture indigeste. C'est cossu, force est d'admettre qu'il faut s'accrocher (je suis allée faire deux ou trois tours sur Wikipédia, et ai renoncé à faire quoi que ce soit d'intelligible avec la fin du roman). Mais en fin de compte, l'auteur parvient à maintenir son cap dans cette intrigue touffue. Celles et ceux qui ont un vif intérêt pour la science et les questions annexes qui peuvent se poser à l'occasion de l'étude de certains concepts ont de bonnes chances d'y trouver, comme moi, une lecture satisfaisante. 


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