Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Carbone et Silicium, de Mathieu Bablet, chez Ankama Editions (2020)

 

Ma chronique 

Entre deux lectures, je suis allée faire un tour du côté de la BD : Carbone et Silicium, dont le sujet m'intriguait, en plus de l'univers graphique assez particulier de son auteur.

L'ouvrage en impose d'abord par son façonnage et son volume. L'objet est superbe et agréable en main. Le dessin me séduit plus du côté des paysages et des plans larges que de celui du character design, très particulier chez cet auteur. La colorisation est absolument sublime.

Mathieu Bablet présente un avenir proche dans lequel la robotique est désormais capable de produire des androïdes très semblables à des humains et dans lesquels on peut implanter des intelligences artificielles. Après des années de travail, la Tomorrow Foundation crée un duo de nouvelle génération d'IA évoluées à qui seront confiées des enveloppes physiques. Leur durée de vie, pour des raisons d'exploitation commerciale, ne peut excéder 15 ans.

L'auteur explore divers sujets, sur fond de crise écologique et migratoire. Alors que le monde dépérit, Carbone et Silicium s'affranchissent chacun à leur façon de leurs carcans et vont diverger dans leur façon d'appréhender le sens de leur existence et leur place dans ce monde, à partir d'un désir commun de l'explorer. Alors que Carbone embrasse sa liberté en fuyant et délaissant sa partenaire, en renonçant à toute mise à jour technologique, Silicium persiste à vouloir maintenir des liens avec les êtres qui lui sont proches (sa créatrice, son ancien binôme...). Alors qu'ils dessinent, année après année, les contours de leur humanité en apprenant du monde qui les entoure, l'humanité abandonne peu à peu ses racines et se perd dans un transhumanisme qui l'affranchit virtuellement de ses limites biologiques. Un tel inversement n'est pas neuf dans la science-fiction, mais son traitement est dépeint de façon intéressante par Mathieu Bablet, qui opère plusieurs sauts dans le temps et montre ainsi comment ce glissement s'est opéré sur plusieurs décennies.
 
S'il décrit un avenir sombre, cet univers ne se veut en fin de compte pas si pessimiste. On y devine les contours d'un futur que l'on entrevoit déjà aujourd'hui, et les questions soulevées se poseront probablement à nous un jour ou l'autre. 
 
Mathieu Bablet nous laisse, en définitive, avec de quoi réfléchir : l'humanité pourrait bien rencontrer sa fin dans ce que la technologie ne pourra vraisemblablement jamais vraiment lui apporter, à savoir la possibilité de s'affranchir de ses limites biologiques ; les intelligences artificielles, si nous parvenons un jour à les créer suffisamment conscientes d'elles-mêmes, pourraient bien trouver dans la richesse de l'humanité de quoi s'affranchir de celles que nous aurions voulu leur imposer... Et à très long terme, une question reste toutefois en suspend : combien de temps peut perdurer un réseau qui n'est plus entretenu par les humains ? 

L'entropie domine, et la véritable liberté consiste peut-être à ne pas chercher à la fuir, mais au contraire à la vivre comme on le désire.


Commentaires

  1. Une belle BD. Beaucoup aimé aussi, d'autant plus qu'elle est relativement positive (ce qui n'est pas gagné vu ce qu'elle met en scène).

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    1. Disons qu'elle ne joue pas la carte du "de toute façon, l'avenir c'est de la merde" et qu'il a mené une réflexion de fond sur "ok, qu'est-ce qu'on en fait, comment on se définit par rapport à ce qui vient ?". Donc ouais, ça change du discours un peu fataliste habituel. :)

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  2. Chère Vanille, cette liberté dont vous parlez - et dont Bablet parle également - est sans doute déjà là, à notre portée. Elle consisterait alors précisément non pas à "vivre l'entropie comme on le désire", mais à désirer que l'entropie advienne telle qu'elle est. Inévitablement.

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