Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Un long voyage, de Claire Duvivier, Aux forges de Vulcain (2020)

 
 

La quatrième de couverture 

Issu d’une famille de pêcheurs, Liesse doit quitter son village natal à la mort de son père. Fruste mais malin, il parvient à faire son chemin dans le comptoir commercial où il a été placé. Au point d’être pris comme secrétaire par Malvine Zélina de Félarasie, ambassadrice impériale dans l’Archipel, aristocrate promise aux plus grandes destinées politiques. Dans le sillage de la jeune femme, Liesse va s’embarquer pour un grand voyage loin de ses îles et devenir, au fil des ans, le témoin privilégié de la fin d’un Empire.

Ma chronique 

Claire Duvivier propose, dans ce premier roman, non pas un voyage mais bien des voyages, au sens propre comme au sens figuré. Celui de Liesse, qui quitte un archipel sur lequel sa condition le destinait plutôt à rester ; celui de Malvine, dont la carrière très prometteuse se trouve entrecoupée d'une vie qu'elle n'aurait pas dû connaitre ; celui d'un peuple parti en guerre, depuis leur passé révolu jusqu'au présent auquel ils n'appartiennent pas. Ces voyages se suivent et s'entrecoupent, et ce sont les conséquences de ces rencontres que raconte l'autrice au travers du regard de son narrateur. 

Certains l'ont attribué au genre de la fantasy (au moins à sa frontière), mais d'autres soutiendront qu'il n'en relève pas. Certes, Un long voyage ne propose pas formellement de système de magie et se positionne loin des codes traditionnels du genre. Quelques éléments, dans ce joli roman d'aventure, pourraient même relever du fantastique... Mais laissons de côté ce débat pour se concentrer sur les qualités de l'œuvre.

La forme est celle d'un témoignage, adressé par le narrateur à un correspondant auquel il écrit. Liesse témoigne à la fois de son propre parcours et de celui du personnage de Malvine, dont il croise la route. Car, dans ce récit, tout est affaire de circonstances, et c'est là un des charmes de l'histoire. Liesse se laisse porter par les évènements, par les joies comme par les drames de la vie. Il n'accomplit aucune destinée — alors que, d'une certaine façon, Malvine accomplit la sienne, depuis longtemps tracée — et se pose en observateur des évènements. Ce long voyage est d'abord le sien, sans autre prétention que celle de trouver sa place dans le monde et de saisir les opportunités qui se présentent. Liesse, c'est monsieur tout-le-monde : l'Histoire ne retiendra pas son nom, bien qu'il fût là pour en raconter une partie depuis sa modeste perspective. 

Liesse se tient dans l'ombre de la vie de Malvine, fille d'une des grandes familles de l'Empire et promise à une brillante carrière. Il parle d'elle, de ces moments privés que l'Histoire ne retient pas, dont le grand public ne saura jamais rien, de ces détails qui tombent dans l'oubli, de la façon dont ils complètent la part de sa vie qui, elle, sera connue, et peut-être déformée par ceux qui l'écrivent.

Liesse est encore témoin de la fin d'un Empire, celui qu'il a toujours connu, et de cette transition difficile d'un système à un autre qui fait de beaucoup d'individus les dommages collatéraux et insignifiants d'un monde qui change.

En fin de compte, Un long voyage est affaire d'Histoire, de mémoire et d'oubli, à échelle d'un individu comme à celle d'une société, et de la façon dont ces éléments s'entremêlent au gré des circonstances. Il y a une beauté toute mélancolique dans cette façon de raconter la marche inexorable de l'Histoire qui s'écrit, beauté assumée tant par l'autrice et sa très belle plume que par un narrateur qui se replonge dans ses souvenirs. 
 
Claire Duvivier creuse subtilement le sillon de son récit tout en nuances : aucun manichéisme n'est à déplorer puisque tous, grands et petits, importants ou non, seuls ou nombreux, font face aux aléas des circonstances. Ni gentils, ni méchants ; ni totalement heureux ou malheureux, chanceux ou malchanceux. Chacun fait comme il peut avec son lot, ses représentations, ses croyances. Peut-être essaie-t-elle de nous dire, au fond, que Histoire et mémoire ne peuvent jamais restituer la complexité de ce dont elles prétendent se faire les gardiennes — ce qui a été — et que, par suite, bien mal avisé.e celui ou celle qui s'aventurerait à en faire un portrait trop simpliste pour désigner des fautifs.

Habile, l'autrice fait patienter son lecteur. Car Liesse sait bien qu'il a vécu dans l'ombre de Malvine et que l'Histoire ne retient pas les témoins comme lui. Son récit est d'abord celui de sa vie, simple, loin des affaires importantes. Un peu de patience, nous encourage-t-il... Et c'est sans prévenir que le récit simple et modeste d'un anonyme aux yeux de l'Histoire s'entrechoque avec les personnages et évènements qui feront date. 

Un long voyage est un incontournable, un premier roman qui n'a de leçon à recevoir d'aucun des grands noms des littératures de l'imaginaire. En bref, une véritable réussite !
 

Le pense-bête du libraire

Coup de cœur 
Genre/Fréquence : roman d'aventure/fantasy, one shot
Autres titres notables de cet auteur : premier roman.
L'autrice est co-fondatrice de la maison d'édition Asphalte.
Le pitch en une phrase : Frappé d'un tabou dans son village natal, Liesse est contraint d'en partir et entamer un parcours de vie au cours duquel il sera témoin direct de grands évènements de son temps.
Ce qui peut piquer la curiosité du client : Ni science-fiction, ni réellement fantasy, ce roman d'aventure s'affranchit des codes des genres de l'imaginaire pour conter un récit original ; peut permettre une première incursion en douceur dans les littératures de l'imaginaire.
Les atouts à mettre en avant : Une très belle plume, un texte doux, subtil, mélancolique, empreint d'ailleurs et d'une belle réflexion sur l'Histoire, la mémoire et l'oubli. Évasion garantie.
Les éventuels freins à l'intérêt du client : Au départ assez calme, et plutôt atypique dans l'ensemble, ce qui pourrait dérouter ou décourager ceux qui recherchent les codes de la fantasy.
À qui je conseillerais : aux amateurs d'imaginaire, à ceux qui veulent se laisser porter par un récit doux et intéressant, qui veulent sortir des sentiers battus, ou qui veulent faire une première incursion dans les imaginaires mais ne savent pas par où commencer (sans pour autant avoir envie d'aller directement lire les classiques ou les poids lourds du genre).
 



Commentaires

  1. Je suis contente que cette lecture t’ait plu. Pour un premier roman et une « fantasy » discrète je l’ai trouvé extrêmement réussi. Très belle chronique ❤️

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