Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Les fileurs de temps, de Thomas Fouchault, chez 1115 (2019)


La quatrième de couverture

L’Argo était dans un état déplorable. La voile déchirée pendait du mât comme un linceul, tachetée de moisissures. Le bastingage éclaté par la tempête pourrissait sur place. La coque était verdie, couverte d’algues et de berniques.

Grinçant dans la houle, les amarres élimées pouvaient céder au prochain gros temps. La galère tombait en morceaux, abandonnée, semblait-il, depuis plusieurs hivers. Seuls les grands yeux peints de chaque côté de la proue gardaient leur vif et leur éclat.

Pétrifié, Jason crut y lire une lueur accusatrice.

Oubliez ce que vous croyiez savoir de l'expédition des Argonautes et du mythe de la toison d'or. L'histoire que nous raconte Thomas Fouchault est avant tout celle d'un héros aux mille vies et aux mille visages, d'un homme qui change de nom, de destination et d'équipage chaque fois que le vent tourne. Anticonformiste, insoumis, il ne se laisse pas illusionner par les belles promesses et les rivages dorés. Il est celui qui décide, qui fait ses propres choix. Qui écrit lui-même son histoire. Quitte à mettre sa vie en danger. Ainsi que celle de tous ses compagnons d'aventure.

Ma chronique 

J'avoue mal connaître le mythe dont Thomas Fouchault propose ici une revisite : celui de Jason, des argonautes et de la toison d'or. Si, comme moi, vous n'avez pas la référence, une petite séance de rattrapage par l'excellente chaîne Nota Bene a été d'une grande aide. Malheureusement, cette lacune ne me permet pas d'apprécier le récit dans toutes ses dimensions de lecture, alors je me contenterai d'en fournir un ressenti brut. 

J'en sais suffisamment pour comprendre qu'il s'agit d'une relecture très personnelle du mythe : l'auteur a pris ses libertés et l'histoire qu'il choisit de raconter est celle d'un exil de réprouvés, de la tentative d'émancipation douloureuse de Jason et de ses compagnons. Un parallèle intéressant est d'ailleurs maintenu, avec habileté, entre cette soif de liberté, dont la légitimité profonde résonne en chacun d'entre nous — ici, au prix de tous les dangers — et le fait que Jason et ses compagnons de galère sont des criminels sans scrupule. De la pitié, ils n'en éprouvent pas plus à l'égard de leurs innombrables victimes qu'entre eux. Au diable ces brigands, devrait-on en fin de compte se dire, et pourtant Thomas Fouchault réussit à obtenir que le lecteur partage la nécessité de fuir l'île sur laquelle l'embarcation s'est échouée. La toison n'est, au fond, qu'un accident dans cette revisite : elle n'est pas le but du voyage, mais le moyen d'une fuite en avant. Dans l'ensemble, l'auteur entretient, par un style à la fois travaillé et percutant, une sensation de malaise incluant le dénouement. La fin, qui conserve pour moi entièrement ce mystère, tombe comme une sentence. Le destin est d'ailleurs étrangement mêlé avec la quête identitaire, en particulier celle du personnage de Jason. Je n'en saisis peut-être pas tout, mais j'aime les questionnements qu'elle a laissés en moi sur ces notions. 

Le pense-bête du libraire

Genre/Fréquence : novella en fantasy (réécriture d'un mythe grec).
Autres titres notables de cet auteur : premier texte.
Le pitch en une phrase : Jason et son équipage quittent avec l'Argo une vie d'asservissement et, après un voyage périlleux, échouent sur une île mystérieuse, bien trop accueillante pour ne pas être suspecte au goût du Bélier...
Ce qui peut piquer la curiosité du client : L'auteur propose une réécriture d'un récit de la mythologie grecque, auquel il a su donner une existence propre par une lecture très personnelle. Le texte ne trace pas de limite morale entre bons et méchants : ce propos est écarté délibérément au profit d'une quête unique à laquelle on ne peut, en un sens, que souscrire : l'émancipation, la liberté. Il y a en cela une belle invitation à la réflexion.
Les atouts à mettre en avant : Le texte est bien écrit, l'histoire intrigante. Le lecteur est embarqué avec l'équipage pour un voyage aussi étrange que mystérieux et il est difficile de ne pas être curieux de la chute que doit connaitre ce voyage.
Les éventuels freins à l'intérêt du client : l'aura de mystère qui flotte autour de ce récit (la maquette a été travaillée en ce sens) peut faire qu'on a du mal à y entrer pleinement. La fin conserve ce mystère et, à ce titre, peut constituer une chute insatisfaisante pour le lecteur qui est resté assez patient et curieux pour la lire. Dans l'ensemble, le propos reste donc ambigu, vaporeux ; un manque de clarté qui peut en rebuter certains.
À qui je conseillerais : à tout amateur de fantasy et de mythologie, et plus généralement de récits réflexifs.
Peut être rapproché de : Le réel et son double, de Clément Rosset, chez Folio. Une lecture avec laquelle il peut être intéressant d'approfondir les questions abordées, car l'auteur y développe toute une réflexion sur la perception illusoire de la réalité entretenue par les personnages de mythes et légendes qui ont tenté d'échapper à leur destin.  

Commentaires

  1. Celle ci ne me tentait pas... et ton avis va dans mon sens ! ;-)

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    1. Je crains toujours de tomber à côté, tu sais, donc ce que tu dis me rassure. ^^

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