Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Thecel, de Léo Henry, chez Gallimard (Folio SF, inédit, 2020)

La quatrième de couverture

À Thecel, Moïra et son frère, Aslander, coulent des jours heureux au Palais, dont ils connaissent tous les recoins par cœur. Leur père est à la tête de l’Empire des Sicles et, même si l’on évoque des combats sporadiques aux frontières, la paix et la concorde règnent. Pourtant d’inquiétantes rumeurs courent : l’Empereur serait au plus mal et, s’il venait à mourir, Aslander, son seul héritier mâle, pourrait ne pas être en mesure de prendre sa succession. Serait-ce la fin de la dynastie et, pire, la chute de l’Empire? Et que deviendrait alors Moïra?

Après la science-fiction du Casse du continuum et le fantastique de La Panse, Léo Henry clôt sa «trilogie des mauvais genres» avec Thecel, un roman de fantasy qui renouvelle avec originalité et talent les récits de quête initiatique.

Ma chronique 

J'ai le plaisir de baptiser ce blog avec Thecel, un texte signé Léo Henry, directement publié en poche par Gallimard (Folio SF, 2020). Sachant que l'auteur n'en est pas à son premier méfait, avec au compteur d'autres textes qui ont fait leur réputation, c'est cependant avec celui-ci que je découvre son travail. La couverture est signée Aurélien Police, dont le talent fait une fois de plus honneur à l'oeuvre illustrée.

Côté histoire et univers, Léo Henry part d'une idée aussi simple que brillante, superbement mise en scène tout au long de son récit. Qui a déjà fait une partie d'Othello devrait rapidement saisir où l'auteur veut en venir, et qui découvre ce jeu opposant deux joueurs - classiquement pions blancs contre pions noirs - ne devrait pas moins en apprécier l'extrapolation délirante qu'il en tire. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il va au bout du concept : il décrit un monde qui n'est autre qu'un plateau de jeu géant dont la géographie dépend d'une partie d'Othello, que se disputent plus ou moins consciemment les deux peuples "joueurs". 

Côté personnages, on rencontre une majorité de femmes et d'enfants, un point auquel je suis particulièrement sensible, agréablement complété par le fait qu'aucun d'eux n'est un archétype. La protagoniste principale, Moïra, est une adolescente que l'auteur a voulu ordinaire, si ce n'est son statut et ce qu'il implique ; son portrait se veut nuancé et complexe, elle s'efforce de maitriser ses émotions sans toujours y parvenir, ne fait pas toujours les bons choix, cherche à grandir et à prendre son destin en main. Une véritable bouffée de fraicheur, un réalisme tout en délicatesse et simplicité qui fait du bien à lire. Car moins qu'une quête pour l'empire en vertu duquel Moïra sait devoir assumer des responsabilités, la jeune femme tire amplement parti de son voyage pour en faire une sorte de quête initiatique, au travers de laquelle elle se découvre tout en découvrant le monde dans lequel elle vit.

L'écriture est d'une simplicité délicate et subtile, parfois très touchante. Léo Henry a fait le choix d'une narration interne en point de vue externe au présent de l'indicatif : idéale pour un récit qui semble flotter autour de Moïra et de son état d'esprit, mettant en valeur une immédiateté très immersive qui suit à la trace le vécu de l'héroïne, tantôt limpide, tantôt confus.

Le propos de l'oeuvre pourrait être interprété de diverses manières. À mon sens, le fait que l'héroïne ne se perde pas dans la quête qu'elle mène pour d'autres, qu'au contraire elle s'y rencontre et s'y construise, qu'elle trouve en elle la force et la responsabilité de ses décisions tout en refusant la moindre concession sur sa liberté, est ce qui m'a paru le plus percutant. Son désir d'apprendre et sa curiosité vis-à-vis du monde dans lequel elle vit la conduisent à faire preuve d'ouverture et de tolérance, à composer avec ses forces comme avec ses faiblesses. Ce n'est finalement pas le courage ou la force, qui permettent à Moïra de bouleverser le cours des choses, mais bien sa persévérance et son opiniâtreté, sans qu'à aucun moment l'on ne tranche la question de savoir s'il s'agit du bon ou du mauvais choix. J'ai aimé cet entre-deux, cette forme d'indécision permanente rejetant toute vision manichéenne du monde, tout essentialisme. En fait, j'ai trouvé ça beau.

Le pense-bête du libraire

Coup de coeur
Genre/Fréquence : one shot en fantasy.
Autres titres notables de cet auteur (bibliographie complète) : 
- chez Folio SF (inédit) : Le casse du continuum (roman, 2014 ; réédité en 2018) ; La Panse (roman, 2017) ;
- chez l'Oxymore : Les Cahiers du Labyrinthe (recueil de nouvelles, 2003).
L'auteur fait aussi de la BD et du jeu de rôle.
Le pitch en une phrase : Moïra, princesse de l'empire de Thecel, est contrainte de partir à la recherche de son frère, héritier au trône ayant fui ses responsabilités.
Ce qui peut piquer la curiosité du client : l'univers que dépeint le récit obéit aux règles du jeu d'Othello.
Les atouts à mettre en avant : une très belle écriture, simple et délicate ; l'absence d'archétypes chez les personnages, des portraits complexes et touchants ; un propos pertinent, porteur d'émancipation et d'optimisme ; un roman assez court, qui se lit facilement.
Les éventuels freins à l'intérêt du client : le roman se veut vecteur d'une réflexion pour le lecteur ; peu d'action, peu de moments véritablement forts ou intenses ; a priori inadapté à un lecteur qui recherche de la fantasy épique ou des intrigues complexes ou matures en termes d'approfondissement de l'univers.
À qui je conseillerais : à tout amateur de fantasy de qualité et qui sort des sentiers battus. À défendre.



Commentaires

  1. J'aime bien ce que fait ce gars-là. Celui-ci est sur ma PAL !

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    2. Il m’avait été chaudement conseillé par un collègue. J’espère qu’il te plaira ! :)

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