Une citation pour les curieux :

« Garnier se demandait si ce n’était pas là le comble de l’arrogance : se comporter comme un saint dans un monde de loups. Parce qu’il se comportait comme un saint, ce con. Sa sainteté était une gifle pour tous les autres. » (Vivonne, La Table Ronde, 2021)

Les Ménades, de Nicolas Texier, chez les Moutons Électriques (2021)

 


Grand format : 19,90 €, 272 pages (9782361836283)
Langue originale : français

Quatrième de couverture

Parties se livrer à des rites dionysiaques, trois jeunes filles marginales échappent au raid des pirates venus enlever tous leurs proches. Les apprenties ménades décident alors de tout quitter dans l’espoir de pouvoir libérer les leurs lorsque les pirates les auront vendus comme esclaves. Or, ces guerriers originaires de Thèbes s’avèrent avoir un but : poursuivre l’étrange mage échoué sur l’île des trois jeunes filles et qui les a initiées au délire. De la prison du minotaure jusqu’aux terres des cyclopes et aux palais marins des naïades, cette quête entreprise par les ménades aux confins de la Méditerranée les mènera à découvrir la véritable nature du mage et la raison de la haine que lui vouent les Thébains, mais surtout à se découvrir elles-mêmes à travers les épreuves, jusqu’à atteindre liberté et connaissance de soi.

Ma chronique 

J’ai donc découvert Nicolas Texier avec Les Ménades, dont la couverture est une fois encore une réussite signée Melchior Ascaride. Ceux qui suivent vaguement ma très sporadique activité des dernières semaines savent d’ores et déjà qu’il m’a fallu plus d’un mois pour atteindre la dernière page. 
Récit d’un naufrage personnel.

Au croisement des mythes

Une génération après la guerre de Troie, nous informe-t-on, Lyra, Agamê et Enyô mènent sur la petite île de Psili une existence en marge de la société. C’est l’arrivée d’un certain Lusios, étranger venu s’échouer sur la plage de leur île, qui bouleversera leur quotidien ; alors que, la nuit suivante, les trois amies se sont éloignées du village pour se prêter à d’étranges rituels sur les conseils de l’inconnu, des Thébains ont débarqué et massacré les Psiliens qu’ils ne pouvaient emporter comme esclaves. Déterminées à secourir les survivants, elles s'élancent à la poursuite des pirates et débutent leur épopée.

Le lecteur familier des aventures du roi d’Ithaque retrouvera le cyclope Polyphème, les Centaures et les Lestrygons. On y croise également Astérios, le Minotaure né des ébats de Pasiphaé et de Minos. Un regard renouvelé vient dépoussiérer ces mythes, auxquels l'auteur a su rester fidèle. L'approche est d’autant plus rafraichissante que le point de vue est celui de trois jeunes femmes ordinaires et marginales, faisant preuve d'humanité, et aspirant à la liberté et à l'indépendance.
 
Le récit met donc en défaut des traits usuellement valorisés par les mythes et considérés comme masculins, tels par exemple la malice et l’orgueil d’Ulysse, qui ne font en réalité que pousser ce dernier à faire preuve de cruauté et d'égoïsme. L'amitié entre Polyphème et les trois Psiliennes en est une très belle et touchante illustration. Loin du traitement patriarcal habituel, Nicolas Texier nous rappelle que d’autres voies sont possibles sans nécessairement avoir besoin de recourir à l'humiliation, à la violence ou au meurtre pour parvenir à ses fins. De la même façon, il démontre que des femmes peuvent porter et incarner ces histoires.

Je suis passée à côté

Une première grande difficulté m’est venue de la forme, qui m'a parue un peu brouillonne. Le récit commence par alterner pas moins de trois types de narration différents. Un tel abord peut donner le sentiment que l’auteur a débuté son travail d'écriture sans savoir comment raconter son histoire, et sans déterminer si l'inconfort induit par cette alternance était compensé par un intérêt suffisant pour le lecteur. Dans sa structure, la trame est par ailleurs ponctuée de va-et-vient entre l’action présente et un moment passé, irruptions dont l'opportunité apparaît souvent discutable. L’écriture elle-même est déroutante, opérant une rupture permanente entre le registre narratif et celui des dialogues, dont la vulgarité semble par moments excessive en comparaison du reste du récit, qui témoigne au contraire d'une jolie plume. Autant de choix d'écriture qui me semblent avoir été faits au détriment d'une fluidité et d'une aisance de lecture dont j'ai pour ma part cruellement manqué. 

Sur le fond, je n'ai malheureusement pas été emportée par ce texte. Il apparait assez clairement que Lyra, Enyô et Agamê sont écrites comme des archétypes (j'ignore lesquels, faute d'une meilleure connaissance de la mythologie grecque) et leur caractérisation peine à dépasser ce qu'elles sont censées incarner, malgré la part intime très marquée de certains passages ; l'attachement envers ces personnages en est rendu difficile, et le choix de registre opéré dans les dialogues n'y aide pas. Je n'ai pas plus réussi à m'intéresser à une quête dont l'élan est sans cesse interrompu par des considérations qui sont soit mal amenées, soit de peu d'intérêt pour le lecteur.
 
Il est toujours dommage de manquer une rencontre avec un récit, et je souhaite à d'autres d'y trouver une expérience plus concluante que la mienne. Vous pouvez lire des retours plus enthousiastes chez Sometimes a book, En tournant les pages ou encore Yossarian.
 

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